Le projet, magnifique, aura tenu dix-neuf ans. L'idée d'un groupe à la jonction des scènes industrielles, noise, new wave et post-rock aura permis à Séverine Krouch et Hugues Villette de livrer six albums complets et de s'inscrire dans nos paysages émotionnels et fantasmatiques. Quand bien même le groupe s'affichait comme un duo, c'est la présence de Black Sifichi au chant parlé sur plusieurs titres qui donnait au groupe une dimension supplémentaire, son identité pour moi l'auditeur extérieur.
Afin de saluer sa fin, le groupe a vidé les tiroirs et disques durs pour donner un corps à tous ces morceaux épars qui traînaient encore et méritaient un écrin.
Ce serait facile de dire que c'est leur meilleur album. Ce n'est pas le cas : 19 et 19.2 ne sont pas composés, mais agencés : il leur manque le parcours et l'unité de lieu et d'intentions que 2kilos &More savait imposer, faisant de chaque sortie un moment unique et singulier. Et puis, l'ensemble est long, trop pour s'appréhender parfaitement. Précisons que 19.2 ne s'acquiert que sous format digital via l'achat de 19.
Pourtant, c'est l'album qu'il faut avoir pour percevoir la richesse. "Presqu'île", instrumental, me prend aux tripes instantanément : quelle montée en puissance ! Je me réécoutais les travaux d'Atticus Ross et Trent Reznor pour The Girl With The Dragon Tattoo... On a là la même force, les mêmes talents, excusez du peu ! La noirceur des déambulations sous speed trouve sa bande-son avec "Pillow Face" : là encore, on voit la manière de composer, faite d'accélérations, de pauses, de rythme installé puis décalé, de bifurcations. L'auditeur n'est jamais laissé dans une zone de confort ou dans une hypnose, il s'agit de l'inviter à travailler pour qu'il se fasse ses images, son parcours narratif. "Only Hazard" brouille le son avec des triturations bien équilibrées entre rugosités, raclements et délicatesse sourde. Finalement, Black Sifichi n'assurait qu'une partie visible de l'iceberg...
"Missed", "Januar" et "Deimos" font partie de ces titres langoureux et tristes, les douces mélancolies sont marquées par la musique mais aussi par l'espace sonore créé : échos, parasites, spatialisation. La force des détails. Le remix de "Meurs Menace" de Picore est une grande pièce, troublante et belle, inclassable (Sonic Youth + Neubauten + Tuxedomoon ?). Tuxedomoon qu'on retrouve pour une reprise racée qui retient l'essentiel (malgré une errance centrale) et module ses effets de relecture. J'aime aussi, beaucoup, l'alternance des guitares cristallines et des vociférations noise et drone présentes sur "Tp.da-lp-fg-in-tb-l1", un titre paysager et épique.
Certains travaux m'intéressent moins : "2 Improvisations" s'étire sur presque quinze minutes et le travail percussif ponctué de raclements et mélodie couinée-chuintée (avec Partita Radicale et Black Sifichi) aurait selon moi mérité une réduction pour aller à l'essentiel des deux-trois idées charmantes (les plaintes jouées). Cependant, là encore, dévoiler ce processus est pédagogique : un climat et des travaux préalables (rien à dire sur les sons générés, ni encore une fois sur la captation sonore) permettent de libérer et de donner naissance à un contenu tellement original ! De même, le remix de Trisomie 21 apporte à Trisomie, mais pas forcément à 2kilos &More : je n'y découvre pas un univers alternatif fort pour le duo parisien. "Fratres (Asnieresessen Mix)" plombe la fin de 19.2 avec son drone noisy implacable. Le morceau pour Evi Vine est malheureusement resté inachevé et on n'entendra pas l'Anglaise... Enfin, "Måløy" avec ses presque vingt minutes est une pièce à part entière et l'écouter dans un ensemble ne lui offre pas un confort d'écoute satisfaisant ; ayant gravé les titres, c'est lors d'un trajet en voiture en allant au travail (donc avec un son peu conforme) que j'ai pu en profiter pleinement. Avec le soleil qui se lève, c'était finalement le moment adéquat.