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Album
08/07/2024

AA & Les Oneiroi

Le Souffle De l'Hybris

Label : autoproduction
Genre : heavy-folk-rock ambiancé
Date de sortie : 2024/04/05
Note : 79%
Posté par : Sylvaïn Nicolino

AA est le double artistique d'Alexandre Alquier. Avec son groupe, il crée un univers étoffé. Le packaging, d'abord, est hyper travaillé à renfort de créations visuelles, photos et images de synthèse qui imitent souvent des tableaux ou rencontrent l'illustration dans ce qu'elle a de plus évocateur. L'écrin est une ouverture pensée, immédiate, qui donne au projet sa force et son sérieux. Un digipack trois volets et un livret de vingt pages forment l'entrée et accompagnent la musique tout du long.

La manière de concevoir aussi la partition est révélatrice : AA & Les Oneiroi, c'est la manière de Nick Cave avec ses Bad Seeds : un groupe accompagne Alexandre et lui permet de servir ses audaces. Stylistiquement, c'est plein. Pareil à un cabinet de curiosités, chacune des compositions regorge de recoins, de niches, d'encadrés qui se découvrent soudain, à la faveur d'une illumination, d'un temps consacré.

Ainsi, le premier titre, "The Prelude", est une partition de plus de vingt minutes. Celle-ci s'étage en cinq sous-parties, gentiment enchaînées, alternant technicité ("Heavenly Flight"), sensations répétées ("Light") et travail de textures avec des souffles, des grincements dans le lointain.

La voix doit être domptée par nos oreilles car elle n'est pas "rock", jouant du rock progressif, du chant classique, donnant à entendre ses possibilités sans forfanterie, mais avec un aspect démonstratif qu'on entend somme toute assez peu (en dépit des chanteurs complets qui apparaissent de temps à autres dans le paysage comme Thom Yorke, Tamino, Greg Gonzalez, Antony Hegarty/Anohni). Sur "You know", la captation au plus près autorise une sorte de murmure intime qui s'appuie sur les basses de cette jolie voix. On pense à Leonard Cohen ou bien à Mark Lanegan ou encore Arthur H (sur le final "Childish Soul") pour la douceur rocailleuse, mais les arrangements, eux, sont guidés par une ligne claire et délicate.

Les musiciens sont là pour encadrer, marcher de front, soutenir, renchérir avec ce guide de haute volée. Il est fréquent que la composition s'emballe, se déploie à la façon romantique, adoptant un espace de plus en plus grand, conquérante, dominatrice ("The Waltz of the Erinyes"). Pas épique, ni élégiaque cependant car il y a en eux trop de tragique et de mélancolie ("Beyond the River"). Pour faire simple, à la moitié de cette chronique, on a là quelque chose qui peut séduire les fans des premiers Genesis, d'Opeth ou d'And Also The Trees, formant le point central d'un triangle kaléidoscopique, sans cesse changeant, aux facettes toutes surprenantes, qu'on aimerait figer, mieux tenir en tête pour comprendre comment on passe avec fluidité d'un mouvement à l'autre, d'un riff à une mélodie au piano, de moments de solistes à un ensemble réfléchi et émouvant, voire à une déflagration majestueuse ("Hecate's Choice").

Les touches heavy (la guitare lead de "The Ivy" en délicate figure de proue) font de ce disque un objet atemporel, quelque part entre le mitan des années 1980 et la qualité des studios contemporains (les cordes de "The Dawn"). C'est Benoît Courribet, à la basse, qui cumule aussi le mixage et le mastering.

La deuxième grande composition, "The Styx", lie parfaitement ses six mouvements internes, prenant le temps de former des vagues, des ambiances avant l'avènement de la voix sur "Illusion", là encore capable de pirouettes, s'envolant dans les aigus, puis revenant à un délié sur le ton de la confidence. C'est à l'issue de cette pièce que se déploie la colère d'Hécate, mentionnée un peu plus haut, comme si l'ensemble du disque était une rampe de lancement pour aboutir à ces cinq minutes de tensions libérées où les guitares d'Eric Becker (de Rome), Eric Sarrade et Florian Claude sont en harmoniques tapageuses. Majoritairement adressées à quelqu'un, les paroles sonnent comme des témoignages, des conseils, des observations sur la vie et nos destinées. Un très joli disque, impressionnant dans ses intentions et sa réalisation.

Tracklist
  • THE PRELUDE
  • 01. The Bear
  • 02. Heavenly Flight
  • 03. Light
  • 04. The Waltz of the Erinyes
  • 05. The Dawn
  • 06. Beyond the River
  • 07. You know
  • THE STYX
  • 08. Where the Gaze doesn't reach
  • 09. Blooming Worlds
  • 10. Illusion
  • 11. Meadow of Asphodele
  • 12. The Ivy
  • 13. Hecate's Choice
  • 14. Childish Soul