Un autre monstre s'en va.
Nous apprenions il y a quelques semaines le départ de Neil Peart (batteur de Rush), hier la disparition de Gabi Delgado (D.A.F.) et plus tard en journée, celle de l'ami Manu DiBango (emporté par le Covid-19 à l'âge de 86 ans). Aujourd'hui, voici que tombe une autre nouvelle - de celles qui font encore le plus mal : le batteur et multi-instrumentiste William Frederick "Bill" Rieflin, connu pour se participation à moult projets parmi lesquels Ministry, Pigface et King Crimson dans sa dernière mouture (depuis 2013), est décédé à l'âge de cinquante-neuf ans. Cancer. Robert Fripp, dirigeant et visionnaire de King Crimson, a lui-même confirmé la nouvelle.
Fripp : "Tracy told Toyah and me that the day was grey, and as Bill flew away the clouds opened, and the skies were blue for about fifteen minutes. Fly well, Brother Bill! My life is immeasurably richer for knowing you." ("Tracy nous a raconté, à Toyah et moi-même, la journée grise. Bill s'est envolé, les nuages se sont ouverts et le ciel est redevenu bleu pendant une quinzaine de minutes. Bon vol, frère Bill ! Ma vie s'est incomparablement enrichie par la chance que j'ai eue de te rencontrer.")
Le batteur de Seattle, connu pour sa frappe lourde, précise et percutante, a fait ses débuts au sein de The Telepaths, formation qui s'est fait sa petite notoriété en jouant aux côtés des Tupperwares (projet pré-Screamers). À ce moment-là, le talent percussif de Rieflin a une résonance essentielement locale. Seattle est berceau du musicien, mais ce n'est pas dans la scène grunge que Bill trouvera émancipation personnelle et terrain d'expression - il est avancé en âge lorsque le grunge explose. Pas sûr que musicalement, ça l'intéresse des masses non plus. C'est d'ailleurs à Seattle qu'il noue des relations avec les tenants d'une certaine ambition en musique (Fripp de Crimson, mais aussi Trey Gunn), lui qui verse jstement dans des musiques à tendance expérimentale et, disons-le, avant-gardiste... même si des exceptions existent au sein de son parcours, et notamment sur la fin. Contrairement à une idée reçue, le rock metal dans sa dimension plus classique - tel qu'envisagé par exemple par Jourgensen à partir de la mi-90's pour Ministry - n'a jamais vraiment intéressé Rieflin.
Après Telepaths, Bill forme The Blackouts : un projet post-punk / dub, qui a en quelque sorte fait office de tremplin : c'est ce dernier qui a fait remarquer Rieflin par un certain Al Jourgensen (Ministry). La période de travail de Bill avec Ministry correspond à ce que certains jugent être l'âge d'or du projet. À l'époque, Paul Barker est là et Jourgensen & co. couchent des disques fondamentaux. Nous larlons de période qui court de The Land of Rape and Honey (1988) à Filth Pig (1996), ce qui inclut un certain Psalm 69: : The Way to Succeed & The Way To Suck Eggs (1992). L'importance de l'apport de Rieflin à l'histoire du groupe s'inscrit en filigrane de la déclaration d'hommage ainsi formulée par Ministry eux-mêmes hier : "Aujourd'hui, nous avons perdu un artiste merveilleux, un être humain formidable et une partie intégrante [de nos] développements et [de notre] succès."
Les projets gravitant autour de Jourgensen ont happé Rieflin, en particulier les emblématiques Revolting Cocks, Lard (avec Jello Biafra de Dead Kennedys) et 1000 Homo DJs. En parallèle, Rieflin déploie une collaboration avec Martin Atkins et l'aide à lancer un projet tout aussi culte dans le monde industriel, à savoir Pigface. Rieflin est apparu sur Gub (1991), enregistrement qui impliqua du beau monde : Paul Barker (Ministry), Chris Connelly (Ministry) ou encore Trent Reznor (N.I.N.).
Bill a pu aussi être croisé chez le très, très culte Swans de Michael Gira (le grand album The Great Annihilator [1995]), KMFDM (Nihil [1995], Atak [2002]) ou encore le morceau ambiant de N.I.N. "La Mer" sur le formidable double-album studio The Fragile. Rieflin a en outre servi les intérêts de R.E.M. à partir de 2003, remplaçant Bill Berry. Il développa une qualité de relationnel avec Stype & co., auxquels il reconnut publiquement des qualités personnelles peu comparables. Dès lors, il continua à jouer avec R.E.M. (les albums Around The Sun, Accelerate et Collapse Into Now) tout en se produisant parfois live avec Swans, Angels of Light et d'autres projets de Michael Gira. Quant au reste, difficile de tout rappeler : Minus 5, The Humans (avec Robert Fripp), Hector Zazou... une liste interminable. À vrai dire, tout le monde le voulait.
En 2013 enfin, Rieflin devient l'un des trois batteurs de la dernière formule en date de King Crimson, groupe en lequel il s'est maintenu jusqu'à sa mort, passant au mellotron et aux claviers à partir de 2017. Plusieurs enregistrements live sortis entre 2015 et 2018 portent sa griffe.
Bill rejoint son épouse Francesca Sundsten, artiste peintre partie en 2019 et qui avait offert son art à divers groupes impliquant Bill, dont Pigface et King Crimson. Les boucles n'arrêtaient plus de se boucler, avant la dernière nuit.
Bonne nuit, Bill.