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Les incessants crépitements de l'ombre

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RIP
16/01/2025

David Lynch

"When you see me again, it won't be me" ||| 'Eraserhead', 'Lost Highway', 'Elephant Man', 'Twin Peaks', 'Mulholland Drive'... - 20/01/1946 - 16/01/2025

Photographie : Mark Berry (2011) | source : Lynch FB
Posté par : Sylvaïn Nicolino

Poster, pas poster... Course au scoop, partager des infos.

L'internet bruisse de posts trop rapides pour évoquer la mort de David Keith Lynch. Des images, des photogrammes, des montages, des citations.

C'est finalement la sidération qui l'emporte et l'envie de se servir des algorithmes. Faire en sorte que le mot-clé LYNCH pointe en tête des messages. Emmerder quelque part les donneurs de data qui nous volent nos pensées. Forcer la machine à admettre que l'art désaxé peut plaire au-delà des groupuscules. Aller contre le digéré, le lisse, le formaté. Trouver la douceur dans la violence, dans l'hérissé pour être plus humain, fragile et féminin, implacable et grotesque.

Comme un hommage contemporain paradoxal pour celui qui fut d'abord dans l'ombre. Savoir à quel point ce fut dur pour lui de sortir Eraserhead, simple (!) projet de fin d'étude qui vira à l'épreuve. Il fallait que ça passe pour que l'artiste existe.

Me souvenir de ma première vision à la télé d'Eraserhead, dont la fin à une heure tardive m'avait trouvé endormi, réveillé par la neige sur l'écran et pensant un temps que ce parasitage pouvait faire partie du film... Trouver le lendemain un autre camarade de classe avec qui en parler.

Suivre une à une toutes ses sorties, en m'amusant finalement de cette ambivalence : les films difficiles étaient suivis d'un film accessible. Après Eraserhead, nous avions eu droit à Elephant Man et Dune, puis Blue Velvet tempéré par Sailor & Lula, Twin Peaks et Lost Highway, circonscrits par Une Histoire Vraie (à combien d'entre nous ce film donna-t-il envie de se faire un road trip au ralenti ?). Et Mulholland Drive... et Inland Empire.

Quelle surprise ce fut de découvrir que Lynch aimait nos musiques "modernes" (BO, clips pour Nine Inch Nails, Moby, X Japan...) et que nous n'étions pas seuls. Merci aux Pixies, à Norma Loy et tant d'autres. Son univers devenait culturel, populaire, rassembleur. Je me souviens de délires collectifs à adopter la diction du nain de la série. J'ai encore mon mug orné de la femme à la bûche, empli de café lorsque je fais cours.

Et puis internet se développa, on découvrit le farceur décalé avec sa série animée grotesque Dumbland, il y eut une expo immersive à la Fondation Cartier, des livres lus, offerts, des DVD.

Ses dessins. J'ai longtemps eu cet enfant triste qui pleure, mais jamais mis sous verre.

Se souvenir de Sting dans son Dune, que je ne renie pas.

Lynch qui permettait de se reconnaître, c'était aussi le forum des musiques électroniques, le Mindphaser, dont la devise était Fire walk with Me, justement.

Après la mise en orbite de Badalamenti et de Julee Cruise, Lynch, ce fut aussi de la musique, un retour à ses années d'adolescence à lui, transposée dans notre monde à nous.

Et avec Obsküre, en version papier, une interview, dès notre numéro 2. Nous partagions avec tant d'autres acteurs une fascination pour ce qu'il offrait.

SE dire en gémissant que ce grand gaillard bavard, pas toujours très clair, jouant avec son image, est peut-être le dernier témoin d'une époque étrange où l'audace était récompensée, où l'artistique avait droit de cité (Jim Jarmusch, prochain sur la liste macabre ?).

Se dire que ses films lui survivront... ou bien qu'ils vont tranquillement s'effacer, sombrer dans un oubli, petit à petit.

C'était un temps où le monde s'emparait des codes alternatifs car ils disaient autre chose, et ouvraient des possibles. Lynch existerait-il encore aujourd'hui, alors que son Los Angeles brûle ?