Les icones meurent : ces moments où nous ressentons le grand vide.
C'est à l'âge de soixante-dix ans que nous quitte ce géant des musiques aventureuses, extrêmes et avant-gardistes, après une bataille de deux ans contre la leucémie. Genesis Breyer P-Orridge, pionnier / pionnière de la musique industrielle et principalement connu(e) pour son investissement personnel dans COUM Transmissions, Throbbing Gristle et Psychic TV, est parti(e) ce 14 mars 2020, ce que confirme un communiqué officiel de ses filles Caresse et Genesse :
It is with very heavy hearts that we announce the passing of our beloved father, Genesis Breyer P-Orridge. S/he had been battling leukemia for two and a half years and dropped he/r body early this morning, Saturday March 14th, 2020. S/he will be laid to rest with h/er other half, Jaqueline “Lady Jaye” Breyer who left us in 2007, where they will be re-united. Thank you for your love and support and for respecting our privacy as we are grieving.
Caresse & Genesse P-Orridge
#s/heisher/eforever
Né en 1950 à Manchester sous le nom de Neil Andrew Megson et élevé dans l'Essex, P-Orridge a développé assez tôt un intérêt pour l'occultisme, l'art d'avant-garde et la musique. Les choses arrivent tôt, en réalité : stade adolescence. Neil Andrew abandonne rapidement l'Université et fonde le collectif d'art improvisé et de recherche musicale musique COUM Transmissions. Nous sommes à la fin des années soixante - et pour tout dire, ça ne donne pas vraiment dans l'imagerie hippie. Son identité d'artiste devient Genesis P-Orridge. Le groupe se fait connaître par la radicalité de ses choix sonores, esthétiques, démarche impliquant l'effet de choc.
Genesis forme ensuite l'un de ses projets les plus cultes et renommés, Throbbing Gristle : une collaboration impliquant dans sa mouture complète Chris Carter, Peter 'Sleazy' Christopherson (R.I.P.) et Cosey Fanni Tutti, et qui se structure vers la fin de l'expérience COUM.
Le projet industriel culte s'éteint une première fois en 1981. Un projet de tension musicale... et personnelle, semble-t-il : des remous ont eu lieu en interne, mais semble-t-il à un degré qui dépasse ce que l'on connaît classiquement du malheur des aventures collectives. P-Orridge est accusé dans une autobiographie de 2017 d'abus physiques et émotionnels par Cosi Fanni Tutti. Accusations accablantes : la dame va jusqu'à soutenir que Genesis a manqué de la tuer en lui jetant un parpaing depuis un balcon. P-Orridge reste de marbre, déclarant au New York Times que "tout ce qui peut faire vendre un livre le fait vendre." TG, dans sa première période d'existence, aura eu le temps d'accoucher de trois albums cultes, parmi lesquels The Second Annual Report (1977) et 20 Jazz Funk Greats (1979), que certains considèrent comme pièce majeure. Des albums dont les dernières rééditions ont été supervisées d'assez loin par P-Orridge. Lui n'a jamais pensé les choses autrement qu'en termes de progression. La nostalgie, la stagnation, la répétition : autant de craintes. "Mick Jagger a 70 ans et chante toujours 'Satisfaction' à chaque concert. Cela me rendrait fou", disait-il encore au Guardian dans une entrevue parue en août 2013.
Après la première dissolution de TG en 1981, P-Orridge et le musicien écossais Alex Fergusson forment Psychic TV, projet qui s'installera dans le temps et sous la forme d'un line-up mouvant. Il se fait notamment remarquer pour la publication en série et prolongée d'albums live à un rythme mensuel à partir de 1986. Son essai le plus récent est Alienist (2016). Un disque live intitulé The Evening Sun Turns Crimson est plus récemment paru en 2019, enregistré au Cafe OTO de Londres le 23 mai 2017, en lien avec la version restaurée du classique de Derek Jarman In The Shadow Of The Sun.
TG, lui, a fini par revenir entretemps sur le devant de la scène, et ce à partir de la fin des années 2000, accouchant de nouveaux enregistrements : l'album "du retour", Part Two: The Endless Not (2007), suivi de The Third Mind Movements (2009) et, en tant que X-TG, l'ultime Desertshore / The Final Report (2012).
Vie et art. P-Orridge et sa partenaire Jacqueline 'Lady Jaye' Breyer avaient fondu leur communauté de vie en un projet de "pandrogynie" : pendant des années, les deux partenaires subissent des procédures de chirurgie plastique pour devenir des êtres identiques et de genre neutre. En octobre 2007, Breyer, atteint d'un cancer de l'estomac, décède dans les bras de P-Orridge d'une maladie cardiaque non diagnostiquée.
Le diagnostic tombe pour P-Orridge en 2017 : leucémie myélomonocytaire chronique. Les fans portent secours via le crowdfunding. L'artiste, transparent(e) publiquement sur la survenance et l'évolution de son état, a retracé en images la maladie sur sa page Instagram.
Il/elle ne la documentera plus.
