Deux albums et une poignée de participations à des cassettes ont suffi pour faire d'Alesia Cosmos une formation culte de la scène française. Originaire de Strasbourg, le projet se voulait comme un collectif, même s'il tourne autour de trois personnalités : Bruno de Chénerilles, Pascal Holtzer et Marie-Berthe Servier. Issus de la culture DIY, ces activistes underground s'étaient faits d'abord repérer par leur disque Exclusivo ! en 1983, qui a bénéficié d'une réédition en 2017 chez Dark Entries. L'univers était déjà planté : mélange d'improvisations et de titres écrits, boîtes à rythmes cheap, orientalisme, matos analo, musique concrète, field recordings, disco-wave funky, expérimentations vocales, percussions ethniques... et surtout, beaucoup d'humour.
En 1985, l'album trois faces Aéroproducts creusait ce sillon de musique nouvelle, à mi-chemin entre synth-pop, free art rock et avant-garde. Paru à l'époque sur Hat ART, cette nouvelle édition remasterisée chez Rotorelief nous présente six morceaux inédits pour compléter cette quatrième face de vinyle qui n'avait jamais existé (l'édition CD est double quant à elle, et en format digipack). La veine industrielle et bruitiste du disque est ainsi mise en avant, et inscrit clairement Alésia Cosmos dans l'esprit d'une mouvance de la scène cassette française qui incluait DDAA, Ptôse ou Un Département.
Le chant évolue entre théâtralité ivre ("The Last Line"), lyrisme jazz ("Est.w.Est"), éructations animales et singeries ("La Panthère du 20ième", "Hors Cage", "Angelina lost in Paradise") et borborygmes de cartoon ("Danse des Canards", "Entre les Gouttes"). Car c'est un vrai bestiaire que nous propose Alésia Cosmos et on ne s'étonne pas de les voir poser dans un Musée Zoologique pour le design de l'album. Leur musique est organique, ludique, faite de matières, comme pour un travail plastique. Les synthés sont fous à souhait ("I.Rapide", "Global Baiser (M.M.L.2)") et la bidouille est le maître-mot. Bandes inversées, horloges, hurlements, coups de mitraillettes ("Halftrack"), effets dub ("Anniversaire"), boîtes à rythmes en veux-tu en voilà, bruits de circulation ou eau qui coule ("Hors Cage"), l'univers sonore est riche. Il peut se dégager aussi quelque chose de très cinématographique (l'electrofunk d' "Affaire Tanaka"), ne serait-ce que dans les thèmes de guitares qui reviennent ("So far again", "Still so Far"). Leur version de la musique ethnique ou orientale peut se teinter d'absurde ("King Kong", "Éventreur") et leur free jazz ("Battler Britton") virer à une forme de musique noise/industrielle/concrète comique ("On the Road again Memorial"). Sûr que des paroles comme "Fast fuck with Donald Duck" n'appellent pas vraiment au sérieux - et une cassure en plein milieu d'un morceau n'est pas un problème non plus ("Horst Karman").
C'est là où l'écoute d'Alésia Cosmos se fait particulièrement jouissive. Ici, aucune limite. Tout est libre, fantasque et diablement personnel. Un groupe ovni on ne peut plus revigorant.