Une fleur rouge sang frippée orne le disque d'Alice Botté, son premier disque en solo. Plusieurs concerts-performances annonçaient aussi la sortie de l'ombre ces derniers mois, sans trop savoir sous quelle forme. C'est qu'Alice n'est pas n'importe qui, comme son nom d'artiste emprunté au contes l'annonçait : depuis 1981, Alice a accompagné les carrières de Jad Wio, Jacno, Daniel Darc, Alain Bashung, Damien Saez, Asyl (en backing-band pour Darc), Jacques Higelin, Charlélie Couture et d'autres encore (dont Christophe ou Thiéfaine et Buzy, à redécouvrir...). Guitariste de l'ombre, talentueux, au service des autres, sa patte sait multiplier les styles, les approches, tout en conservant sa matière première.
On le découvre ici en pleine lumière, dans une veine inédite : cette fois, les projecteurs éclairent un rapport à la guitare bruitiste, entre noise et drone, un peu à la manière d'un Kasper T. Toeplitz (un lien évident avec Eliane Radigue qu'apprécie aussi Alice Botté) ou de celle de Serge Teyssot-Gay (sur le spoken word de "Les derniers Jours d'Isidore", écrit par Elsa Madeleine). La captation des sons est intrusive, la voix sonne dans le micro, les martèlements secs sont un rappel des débuts de la musique industrielle ("C10H15N part.1" à la brutalité mélodique). Les textes, en français, sont descriptifs et sensibles, basculant dans l'allégorie ("Les Clous", de J.K. Huysmans, qui créent les stigmates du Christ par exemple, dans un trip Daniel Darc bien cradé, avec une vicieuse évolution criée assurée par Marc Hurtado), donnant de l'ampleur à ces musiques exigeantes et passionnées. Chaque titre résonne avec sa création, ainsi "Maria" basé sur l'enregistrement de la tempête qui a ravagé la Dominique en septembre 2017. On le sent : sans fausse-pudeur, Alice Botté crée un univers autobiographique et codé, dans lequel il serait vain de chercher des allusions stylistiques avec ses maîtres d'armes, quand bien même la présence de sa reprise remarquée du "Hamburger Lady" de Throbbing Gristle sonne comme un manifeste. En revanche, le découvrir lui, enfin (c'est qu'on l'attendait cet album ! ) donne aussi un regard autre sur les grands qu'il a accompagnés, comme si on découvrait à travers lui une autre facette d'Higelin, de Saez, de Jad Wio, etc.
Finalement, c'est l'excellente surprise de ce dévoilement : on perçoit ce qu'Alice Botté apporte de folie supplémentaire à ces artistes. Sa vision de la chose musicale, de l'art des sons, est de celles qui se tiennent sur le fil. Carré, conscient dans ses improvisations, il peut ainsi lorgner les abîmes, sans crainte de tomber et donner à voir.