Alice Gift devient un nom qui sonne, à force de tournées, de concerts et de sorties. Les visuels sont travaillés autant que les morceaux, l'expérience passée aidant. Retour sur la genèse d'un projet et d'un album qui s'appuie sur son passé pour mieux investir l'époque et trouver une voie, un échappatoire, une résonance avec le public. Entretien sans tabous.
Obsküre : ous avons chroniqué les deux albums sortis sous le nom d'Alice Gift, mais sans prendre le temps d'une interview pour le précédent. Comme Nothing against Uplifting but nous a bien plu, je te propose de remonter le temps, d'accord ?
Alice Gift : Avec plaisir!
Qu'est-ce qui a conduit à la transition du projet Velvet Condom en Alice Gift ?
Après dix intenses années, Olivier (l’autre moitié de VC) et moi nous nous étions éloignés l’un de l’autre, et perso je n’arrivais plus à être satisfait de ce qu’on faisait musicalement. On tournait en boucle des nouvelles chansons sans en être contents, du coup on ne sortait plus de nouveaux morceaux, ce qui était très frustrant. L’activité du groupe était au ralenti. Et comme j’avais quand même envie de continuer à faire de la musique avec Olivier, je me suis dit qu’en amenant une troisième et nouvelle personne, la collaboration pourrait trouver de nouvelles directions et un nouvel élan. Je précise que cette décision ainsi que le changement de nom furent opérés en accord avec Olivier.
Velvet Condom a donc d'abord muté en un trio : Liste Noire. Et cela a bien marché au début, cette nouvelle énergie nous a permis de continuer et de sortir deux albums quand même, de faire des tournées, dont une aux USA. On avait même un manager à l’époque, car on avait tous les trois vraiment envie de faire les choses de manière professionnelle, on était d’accord là-dessus. Sauf qu’Olivier au bout d’un certain temps ne s’y retrouvait plus, cette nouvelle constellation a fini par le mettre mal à l'aise, pour lui la pression était trop forte et il a décidé de partir. Pour moi, ce groupe, ça restait une histoire entre lui et moi alors je me suis retrouvé musicalement complètement à la rue, sans projet après un investissement de quinze ans ! Voir que d'anciens collègues avaient des projets solo que notre public suivait, ça ne m'a pas aidé non plus... Comme la musique c’est toute ma vie, j’ai donc pris mon courage à deux mains et je me suis mis à composer et enregistrer un album solo, en jouant de tous les instruments. J’ai fini par y prendre goût on dirait (sourire).
Pourquoi ce nom ?
Alice a été mon nom de scène, presque depuis mes débuts, et Alice Gift depuis le début de Velvet Condom. Alice c’est mon côté androgyne, mon alter ego glamoureux. Lorsque je dis ça, beaucoup pensent immédiatement à Alice Cooper, alors que je l’ai plutôt emprunté à Alice Botté, le guitariste de Jad Wio. Et Alice Gift c’est également un jeu de mots en Allemand: Alles Gift, ce qui veut dire "tout est poison". Voilà.
Je comprends mieux le titre de l'album précédent maintenant ! Vous citez Los Angeles dans le nouvel album, le groupe est franco-allemand, Alice Gift est-ce un projet sans attache géographique formelle ?
Je me suis toujours considéré bi- voire tri-culturel, ne me sentant ni complètement français ou allemand, et en regardant plus du côté anglo-saxon quant à la pop-culture. Cependant, ma base c’est Berlin, et mes racines sont françaises ; mais mon âme, elle, veut sans cesse parcourir le monde !
Justement, puisque tu parles de voyage, tes paroles sont clairement introspectives et elles me font penser à un journal de bord (plus qu'un journal intime) : est-ce que ce projet sert à poser des émotions, sinon des sensations ?
Oui, Alice Gift est un projet hyper personnel, je n’ai jamais été aussi intime dans mes textes et aussi sincère dans mes émotions. Je me suis retrouvé seul avec ce projet, j’avais carte blanche et rien à perdre (ayant déjà tout perdu), du coup c’était l’occasion ou jamais de m’ouvrir complètement. Et oui ce projet c’est de l’émotionnel pur, point de figures de style, ni d’esthétique à outrance : c’est la mise en musique de ce que je ressens au plus profond.
Dans un climat du disque morose, Alice Gift se présente comme un vaillant combattant avec des sorties de disques, des concerts, des clips. Comment tient-on ce rythme ?
Merci de reconnaître mon côté combatif et endurant. Ça me touche d’autant plus que ce n’est pas facile de trouver la force de se faire entendre, de rester dans l’arène et ne pas se laisser démoraliser par l’échec ou le manque de reconnaissance parfois. Ma partenaire Djamila y est pour beaucoup, elle croit en moi, et elle me rappelle régulièrement que ceci est ma voie.
On vient de rentrer de tournée avec Clan Of Xymox, et tous les soirs des gens nouveaux qui ne nous connaissaient pas venaient acheter notre disque et nous remerciaient de les avoir autant touchés. Voilà : ça, pour moi, c’est la consécration, donner de l’émotion aux gens, les toucher grâce à notre sincérité, notre vulnérabilité, notre énergie.
Mais oui c’est un rythme de fou si tu veux faire ça comme il faut. Et je fais tout moi-même en plus... les clips, les disques, la promo [NDLR : le label Icy Cold Records fait bien les choses, mais nous aimons aussi les liens directs avec les artistes quand ceux-ci sont partants], en partie le booking... Mais il suffit d'une personne heureuse après un concert, ou bien d'un commentaire sympa sur les réseaux sociaux, et tout ce côté astreignant disparaît immédiatement. C'est comme si tout ce travail de l'ombre faisait soudainement sens.
Ce deuxième album est bien plus ramassé et condensé en termes d'écriture et d'atmosphères : est-il venu sur un temps plus court ou bien répondait-il à un cahier des charges ou un objectif plus clair ? J'ai lu sur votre site que pas mal de titres existaient déjà, alors que l'écoute en fait un album bien plus qu'une compilation.
L’objectif était d’abord un EP avec des faces B et des raretés (il comporte même "Headwar" le dernier morceau qu’Olivier et moi avions composés ensemble à la toute fin de Liste Noire), et au fur et à mesure ça s’est développé en un mini album, avec une vraie trame. Et j’avoue apprécier le format, car on ne s’ennuie pas, et on n'est pas frustré pour autant. Dès qu’il est fini, on a presque envie de remettre le disque depuis le début.
C'est ce qui m'est arrivé, tu le verras dans la chronique. Même si la composition des morceaux ne répondait pas à un objectif aussi précis, la structuration de l'album peut-elle s'apparenter à la notion de concept-album ?
En effet oui, mais sans l’avoir prémédité, ça s’est fait naturellement. Une intro, un titre avec deux versions différentes, et une outro. Ce disque est plutôt construit comme un film, avec des flashbacks, des changements d’ambiance et une vraie dramaturgie.
"Krypta" est un véritable lancement, mais je ne sens pas "This Time" comme une outro, un morceau de clôture, de redescente. Cet album sera-t-il composé de deux parties ou bien est-ce trop tôt pour en parler ?
Pour moi, l’outro c’est plutôt "Too Much Outside" sur la face A. Alors ce n’est pas un album qui attend encore sa deuxième partie mais plutôt un disque en deux parties, deux faces avec deux ambiances et deux trames. Je te conseille de continuer à l'explorer avec cet agencement en tête... Par contre je bosse déjà sur le suivant et là on pourra parler de trilogie avec le premier album et ce mini album. Sur les trois disques il y aura des titres qui avaient été enregistrés au tout début d’Alice Gift. Peut-être pourra-t-on le lire comme ma trilogie Berlinoise avant que ne change de décors (sourires).
L'inscription dans une époque est volontairement floue, de même que les visuels jouant avec les genres ; et je retrouve ce brouillage dans les sons utilisés. Cette esthétique hors cadre, comment la transforme-t-on en force ?
Ce côté flou a toujours fait partie de mon identité. Et ça n’a pas aidé à me faire connaître car les auditeurs veulent catégoriser la musique, ils ont besoin de codes et de repères.
Mais je ne peux pas renoncer à cette diversité dont je suis empreint. Je suis plein de choses à la fois, je n’ai jamais fait partie d’une seule scène musicale mais de plusieurs simultanément.
J’espère que les gens finiront par comprendre et apprécier cela.
La force de rester hors cadre est de ne pas se laisser trop influencer par le goût des autres et de conserver une singularité. Je paye un prix fort pour garder cette liberté, mais elle me permet aussi de toujours aimer ce que je fais et de ne pas me lasser.
Pour finir, retour au présent le plus actuel avec la sortie du clip de "Pride" réalisé par Stéphane Hervé. On retrouve le duo dans une voiture désaffectée, faussement en route, comme des enfants jouant dans une casse. Eux jouent les noctambules, la fascination pour les fifties et ces trajectoires brisées, costumes arrachés, cheveux défaits et blessures aux bras, entre La Fureur de Vivre et le Crash de Cronenberg. Les effets de flous, les nappes de brouillard rejoignent aussi une esthétique remise au goût du jour par Kompromat ou Minuit Machine. Ces passagers en partance vers un ailleurs fantomatique attendent le conducteur qui osera les prendre en stop. Couple Dame Blanche, créatures de la nuit rescapées d'une fête folle, partageant la dernière clope et guettant la prochaine aurore boréale, à moins que ce ne soit les lumières des ambulances. Quand la vitesse s'arrête.