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Album
07/11/2023

Alice Gift

Nothing Against Uplifting But...

Label : Icy Cold Records / Cymbeline Records
Genre : ambient cold
Date de sortie : 2023/10/20
Note : 75%
Posté par : Emmanuël Hennequin

Sept titres seulement et qui plus est, ceux-ci s'enchaînent avec une fluidité déconcertante. Dès la première écoute, il m'a fallu relancer le lecteur. J'en voulais encore. Il ne me manquait rien : le voyage avait été plaisant, mais je ne voulais pas en sortir pour écouter autre chose.

Après une intro atmosphérique ("Krypta"), aucun titre ne vient nous soustraire à l'état cotonneux désiré et mis en place. Il n'y a pas un tube ou un morceau qui tirerait à lui la couverture. Là où The Cure avec Faith balançait "Primary" et "Doubt" en contrepoints agités, ce nouvel album d'Alice Gift ne cesse de cultiver son spleen avec grâce. "Pride" est mélancolique, garde un peu des guitares acidulées qui ont fait les beaux jours de quelques titres de Alles ist Gift, l'album précédent (je pense à "Glow" ou l'inégalable "Trance Park" notamment), mais ce qui domine, ce sont ces arrangements de synthés et la superposition des pistes de voix : c'est macabre et élégiaque, forain et féérique. On est immédiatement ailleurs, loin, au-delà de l'année 2023. Du rock progressif ? Du space-rock ? De la cold pop ? Un trip-hop cabaret ? Sur "To live and die in L.A.", l'idée du club nocturne est dévoyée, le son de la batterie et ses cliquetis se tramant dans les aigus, faussant l'abandon ventral au profit d'un trip plus aérien. C'est une fausse fête, l'ironie mordant le cortex et remplaçant les basses badasses qui font taper du pied. Allez, on se la joue provoc et on parlera d'un orgasme platonique ou tantrique. La voix au plus proche du micro, tremblant dans son propre souffle, magnifie le lancement d'"Headwar", le temps que se mette en branle un bon vieux Korg ou son émulation. Puis, la composition s'élance, gravit des collines, serpente, domine le paysage pour ensuite s'allonger languide dans des tourbières. On sent sur soi des parfums, un léger vent ; cette musique ouvre des perspectives, fait rêver, incite à décoller, à s'évader tout en restant un exercice de rock et non pas un tableau ou un thème cinématographique. Le duo se sert de tout ce qui passe par sa console : on a même une bribe de field-recording (balade en vélo ?) sur le début et la fin de "Too much Outside" menée par un piano (joué par Sebastian Lörsch).

La spatialisation du son, comme venu d'une pièce à côté par le biais d'une porte laissée ouverte, pousse encore plus vers cet état comateux. Sommes-nous semblable à Meaulnes, surprenant dans une pièce abandonnée les bruits de la fête qui se donne dans le château adjacent ? On n'ose bouger, de peur de faire fuir, de mettre fin à ce qu'on entend. "Pride (Prequel)" est ce qui pourrait le plus faire penser à un titre d'aujourd'hui, plus bondissant (et pourquoi pas à un vieux Velvet Condom ?*) avant une bascule très typée années 1980, Kate Bush ou Vogue.Noir en ligne de mire. C'est bon et décalé.

Ce qu'il a fallu de précisions, de travail, de retours sur les parties pour aboutir à ce résultat élégant et fort, maîtrisé et... fluide, une fois de plus. Le nombre d'idées qui parcourt "This Time", lorsqu'on l'écoute au casque, est frappant. Ce titre ne ferme pas l'album : cette ritournelle délicate, servie par la voix susurrée et offerte, se mue progressivement en une manière de prière qui s'éteint à peine pleinement lancée. D'où ce besoin de repartir à zéro, de saisir, de faire sienne chacune des compositions. De les tester dans un environnement autre. De les adopter en priant à notre tour pour que la catharsis ait fait son œuvre et qu'Alice Gift ne sombre pas plus.

* L'interview donnée par Alice Gift éclairera un peu plus sur la réappropriation d'anciens titres pour construire ce mini-album.

Tracklist
  • 01. Krypta
  • 02. Pride
  • 03. Headwar
  • 04. Too much Outside
  • 05. To live and die in L.A.
  • 06. Pride (Prequel)
  • 07. This Time