Disons-le d’emblée et que les choses soient claires : And Also The Trees, c’est un premier album éponyme qui épouse à merveille les canons d’une cold wave raffinée, une parenthèse d’énergie brute qui peine à se débarrasser des derniers soubresauts du punk pour faire tenir dans un gant d’écrin froid des lignes mélodiques habitées : un classique qui a su s’imposer à l’international à défaut de convaincre pleinement dans son port d’attache… Quelques premiers formats courts qui ont distillé leur lot de merveilles et puis… et puis c’est tout… Je dois bien l’admettre avec une certaine amertume mais la musique de AATT n’a cessé de me faire sombrer dans l’ennui le plus sincère, au point que le groupe en devenait un parfait parangon… Et ce n’est certainement pas leur dernier album autoproduit Mother-Of-Pearl Moon qui viendra infirmer mon indifférence respectueuse pour ces rejetons dandys de Inkberrow ; ces enfants maudits, outrageusement tenus à l’écart des Peel Sessions et, comme par hasard, chaperonnés en leur temps par un autre monstre destitué, en la personne de Lol Tolhurst.
Il s’en était passé, des années, avant que je ne décide enfin d’aller les voir sur scène… à reculons forcément… et que je leur permette sans trop d’a priori de pénétrer, sans trop de retenue non plus, le cœur desséché d’un enfant du goth… C’est à Paname, dans la mythique Loco, que la magie va opérer une première fois en 2004… Le groupe poursuit alors la promotion de Further From The Truth, sorti une petite année plus tôt… et je découvre, bien malgré moi, la charge poétique et émotionnelle qui suinte sans mesure d’une musique faussement posée et qui trouve, à l’occasion, cette échappatoire inespérée vers l’expression canalisée d’une rage salvatrice.
C’est précisément ce romantisme lumineux empreint d’une fureur endiguée que je suis venu retrouver au bout du monde, à Brest, dans le non moins mythique Espace Vauban, qui en aura sans doute vu d’autres mais se fait fort d’accueillir une nouvelle fois – après leur concert de 1988 – les frères Jones dans ce qui nous apparaît comme le dernier rempart avant New York… Pour une fois, il ne pleut pas, c’est dommage, mais la morosité manifeste de cette fin d’après-midi est prégnante et nous profitons au mieux de cet instant éphémère, en définitive peu propice à la fête. On s’embrasse, on s’amuse, on boit mais nous avons tous l’air de faire semblant… Ça tombe bien, le groupe ne se fait pas attendre, une foule avide pénètre l’antre d’un sous-sol bondé et légèrement oppressant pour écouter quasi religieusement les premières lignes d’une guitare – celle de Justin bien sûr – si singulière et parfois si proche de la mandoline.
La musique se déploie dans cet espace qui n’a rien à envier aux salles obscures et crasseuses du Berlin des années 1980. Elle nous englobe et semble maintenir chaque individu dans une bulle d’introspection… Les premiers morceaux, "The Whaler" et "Tom Square", instaurent une ambiance feutrée et posent les bases d’un tellingstory à l’anglaise… La voix de Simon, n’ayant rien perdu de sa superbe, flirte constamment avec cette discordance qui ébranle sensiblement le charisme ravageur – les filles nous l’ont assez dit – de ce charmeur quasi flegmatique.
La part belle est faite aux deux derniers opus dans cette première moitié de set et, d’une certaine manière, ce choix qui annihile en moi tout affect, m’assure du même coup de la qualité indéniable de ce théâtre mondain. Mon aversion pour les instruments à vent de Colin Ozanne ne parvient même pas à ternir ma fascination et cette servitude volontaire qui me maintient à flot… And Also The Trees est assurément un groupe qui se vit de l’intérieur et le public, passablement statique, ne s’y trompe pas. Nous sommes un mais nous sommes seuls… Nous revêtons les traits du voyageur solitaire de Friedrich… D’un horizon à l’autre, nous plongeons dans les nuées opaques des belles lettres…
Et puis, un classique, enfin, nous extirpe un temps de notre torpeur commune : "Shantell", comme un retour aux sources… Il aura fallu errer dans les méandres de l’âme onze morceaux durant… suspendus dans un temps trop court… C’est déjà la fin avec "Missing", seul rescapé d'Angelfish… Quelques rappels – dont l’intemporel "Scarlet Arch" - viendront parachever une prestation irréprochable et unanimement saluée par un public définitivement conquis. Nous étions tous bien tristes de nous quitter si rapidement en ce dimanche soir, nous qui avions tous goûté à cette beauté incarnée par les "soupirs de la sainte et les cris de la fée" chers à Nerval… et aussi aux arbres…
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Remerciements spéciaux de la rédaction @ Gweza (Mik Chevalier - photographies)
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