Les années se succèdent et il est loin le temps où je découvrais And Also The Trees par la filiation Laurence Tolhurst de The Cure et un article dans le magazine Best pour la sortie de The Millpond Years. Après une démo et un premier album, le groupe a su rapidement créer sa personnalité, en parallèle ou en avance par rapport à ceux de son époque. Il y a eu le changement un peu étonnant de The Klaxon (1993), Angelfish (1996), Silver Soul (1998) et aujourd'hui, album après album (on en est au quatorzième, avec en sus des live, des compilations et des objets moins identifiables), on retrouve cette noirceur poétique qui fait aussi le charme de Nick Cave depuis une décennie ou plus.
L'emphase des années The Millpond Years (1988) et Farewell To The Shade (1989) a laissé place à une maturité plus tranquille (Further From The Truth, en 2003, marque sans doute ce glissement). Les arrangements sont là, précieux mais ils soutiennent et apportent des couleurs au lieu de prendre dans leur sac d'artifices. Les titres seront donc légers, sembleront apaisés. Simon raconte que ce sont les expériences liées aux sets de Brothers Of The Trees (le groupe en petite formation duo ou trio, réarrangeant ses compositions pour des concerts intimistes) qui ont servi de base à ce nouveau disque ; le texte du dossier de presse cite plus longuement le Château H, ce qui ne peut que nous réjouir puisque nous les y avions vus.
L'envie de jouer des instruments avec délicatesse, de donner à la guitare de Justin la place de chercher, tâtonner, poser des notes et jouer avec... Un trait facilement audible dans la touche que Justin donne à sa partie sur "Mother-of-pearl Moon". On suit sa Gretsch Country Gentleman dans ses divagations avant de la retrouver dans son habituel sens du riff façon mandoline. Simon, par son chant, ne bascule pas dans la démesure, se mettant au diapason des clarinetttes de Colin Ozanne ("This Path through the Meadow"). Pas de chant comme sur le "Last of the Larkspurs" de l'album précédent.
L'atmosphère sera sans doute trop tiède pour les curieux qui découvriraient ou voudraient redécouvrir le groupe après les avoir perdus de vue. En revanche, le fan d'And Also The Trees sait saisir ce qui se bouscule lorsque Simon chante : il visualise son corps, ses mains, son visage, il sent comme la musique est épouse et mère, sœur et amante ; le chanteur scintille avec les compositions, même quand celles-ci semblent en retrait, en attente : tout est dans la délicatesse, le changement de rythme soudain, la ritournelle qui se fait jour et s'insinue au travers des paroles. C'est beau, habité, vivant et romantique (au sens des sœurs Brontë). Mais je suis conscient qu'entendre et profiter de "Field after Field" nécessite d'avoir été adoubé, au risque de passer à côté.
Dans ce Mother-of-pearl Moon, il n'y a pas à proprement parler de titre explosif en coups de beauté fulgurante (comme "Bloodline" en 2012, "Winter Sea" en 2016 et encore "Across the Divide" en 2022 pour citer quelques-uns des plus récents). La mise en danger me manque, ces instants où l'auditeur est surpris, happé par quelque chose qui le dépasse. On atteint cet état avec la courte introduction et surtout avec son écho dans la construction inaugurale de "No Moutains, no Horizon", un instrumental qui monte en puissance (on pourra penser à Do Make Say Think, dans le genre du post-rock).
Ce sont bien des passages récitatifs orchestrés dans des teintes pastels. Même si les parties de batterie / percussions de Paul Hill font des miracles dignes du jazz dans le frappé et les ruptures ("Valdrada", élégance et énergie contenue), la composition reste dans un cadre, emmitouflée par des drapures qui tombent (trop) bien. "Visions of the Stray" s'écarte aussi de cette torpeur béate (d'admiration soyons clair) lorsque la musique s'envole sur la deuxième partie, en mode instrumental. Etrangement, il faut attendre "Away from me" le dernier titre, introduit lui aussi par un instrumental ("Ypsilon", le deuxièmeme du disque, en plus de l'intro), pour que la voix récitée et la musique portent ensemble une épiphanie. Pour moi, à l'instar de l'écrin acoustique When The Rains Come (2009), le cru 2024 d'And Also The Trees est une curiosité, un album pas-de-côté construit pendant les temps de pandémie, une expérience qui trouve sa voie, sans tout à fait me combler.