C'est un joyeux trio que campe l'écrivain Arthur Zingaro dans son nouveau livre. La démarche est autobiographique, sans que l'on sache exactement ce qui est vrai et ne l'est pas (la ville inventée de Salamandre où se déroulent les actions). Il met en scène un jeune écrivain, Zingaro, qui doute de lui malgré quelques publications dont les titres ne sont pas ceux indiqués sur la bibliographie insérée. Son vrai copain Richard Galli signe la préface et se trouve lui aussi croqué en ces pages.
Mais les deux autres personnages qui forment cette bande, ce sont sa compagne et sa fille. La première dessine et ses portraits sous forme de caricatures honnêtes ponctuent le récit et reprennent des phrases, comme pour les romans feuilletons du XIXème siècle ou les articles de la presse à sensations. Sa fille, c'est La P'tite dont les interventions orales hilarantesgh sont systématiquement en lettres capitales pour bien signifier sa propension à gueuler toute la journée.
Que cela soit réel importe peu : on a la forme du journal de bord, journal de vie qui tient cet ensemble et permet une très rapide immersion au sein de cette famille.
Le livre prend en compte deux autres traits : les passages en italiques sont des extraits des travaux d'écriture en cours de l'écrivain Zingaro en tant qu'auteur de SF azimutée (la parodie et le pastiche sont une clé de lecture de l'ensemble du livre, tout comme ces dessins jouant avec des règles esthétiques sans cocher toutes les cases). Le troisième trait, ce sont ces poèmes impressionnants et beaux du même Zingaro (troisième ou quatrième personnalité).
"JUSQU'À LA CORDE
Une rue
Déserte
Inhumaine
En son milieu
Un sans domicile
Aux yeux fixes
Animal empaillé
Coltinant son sac
Eco-business
En polypropylène
Sur les flancs duquel
Est inscrit
"VOTRE VIE N'A JAMAIS ETE
AUSSI BIEN REMPLIE"
Impression en relief
De l'ironie du sort
Qui témoigne que
Si Dieu existe
Nous sommes
Des souris blanches
Dans son laboratoire
Empirique."
Des bons instants dialogués relatent les divers rendez-vous avec son psy, nommé "Le Magicien" ; distants chacun d'un bon long mois ou plus, ils permettent de créer une temporalité, autant qu'ils indiquent un cheminement psychologique et un ancrage dans la vie et le travail. Ce livre se termine presque avec un récit de voyage sur son séjour en Côte d'Ivoire, autre exercice de style, là encore émouvant.
Le Zingaro du livre se contemple souvent dans le miroir, son visage en proie à des déformations (un indice de lecture de cette autobiographie romancée ? Page 153, il écrit : "Un écrivain en fait tout autant qui enfile la peau d'un autre, cet Autre dont cause si bien Cendrars, cet Autre qui m'oblige à être un autre que moi."). Il truffe son récit de ses références littéraires : Céline, Flaubert, Baudelaire, Vian, Djian, Lautréamont, Cendrars, Bukowski, Brautigan forment une société d'amis aux présences fortes. En parallèle à ses jeux de mots, le Zingaro s'amuse avec son dictionnaire, jonchant ses pages de termes rares : insapide, recès, excipe, posthite...
Le roman est donc narratif, au sens où le voyait Jacques Tati : on avance de scènes en scènes (on a même une courte pièce de théâtre), chacune avec son titre ; on a des effets de répétition et un court synopsis : Zingaro le personnage va-t-il écrire son livre, s'assumer en tant qu'écrivain, conserver son couple avec Marilyn (il se double souvent d'un grincheux à la Jean-Pierre Bacri) et La P'tite grandira-t-elle ? Ces deux ancres de salut tiendront-elles, et l'auteur mettra-t-il en place sa machine à signer dans de prochains salons du livre ?
La galerie de personnages et le cadre campent un monde difficile : le voisin sourd qui accomplit sans cesse de gros travaux, les chaînes d'information débilitantes, l'impossible choix de vivre sa vraie vie, la dissolution du couple avec les années (des passages qui font écho avec la manière d'Henry Miller dans La Crucifixion en rose), les correcteurs de langue et l'intelligence artificielle, la censure des sensitivity readers, le café où ce recalé se torche s'appelle malicieusement "Au Bureau"...
"Je poursuis ma déambulation, légèrement pété au monoxyde de carbone, puis je jette l'ancre à la terrasse du bar où j'ai mes habitudes, histoire de prendre le p'tit déj' que j'ai zappé le matin. A la table voisine, deux greluches aux voix fanées échangent des propos excrémentiels. Je mate mon pain au chocolat, il semble désolé pour moi. L'une d'elle a l'air d'une fleur qu'on aurait claquemurée, entre les pages d'un livre durant plusieurs vies. L'autre se mouche violemment puis empoigne son vapoteur ; on croirait la Chenille du Pays des Merveilles, celle qui fume la chicha et refile des champis à Alice. La serveuse m'apporte un café et empoche ma mitraille en la faisant crisser. Une Eve sur le retour me décoche une œillade en croquant dans une pomme et un couple de sexagénaires incolores rase ma table en allant son chemin. Peut-être une paire de témoins de je ne sais quoi, je ne connais pas toutes les marques de lessives qui lavent plus blanc nos âmes de pécheurs. L'homme tire un présentoir à roulettes sur lequel une affiche s'interroge : OÙ TROUVER LA CONSOLATION ?"
On le voit : on a des appétences pour le grotesque, comme chez Hugo et Rostand, mais c'est une farce à la sauce chomdu' des années 2000.
Le résultat est un livre léger, sans prétention, mais qui remarque des faits et comportements intéressants à lire et permet de vrais beaux passages dans une langue qui sait jouer avec les mots, comme autant de dérapages poétiques : "Ses yeux sont deux dionées dans lesquels mon image-insecte est dissoute puis digérée sitôt qu'elle ferme les paupières..."