Si la vie n’est pas linéaire, pourquoi la musique le serait-elle ? Dès lors, la catégorisation ou le genre sont les dernières questions que l’artiste aurait à se poser. Cette distance, sans aucun doute, fait sa liberté.
S. Talada, DJ résident au fameux club Das Bunker (L.A.) en sait quelque chose. Ne pas trop s’amuser, donc (est-ce d’ailleurs si amusant ? Aimez-vous les œillères ?) à chercher l’étiquette qui sierra le mieux aux concoctions d’Artillery Nightspace. Son électronique est du genre fureteuse : oppressive et chargée d’une intention bruitiste, elle est tout sauf pure. Alors elle ira chercher, au besoin, dans les recoins de la musique lounge ou, pour quelques détails encore, dans les luminosités de l’italo disco. Il y a aussi, dans sa dureté, une spatialité et quelque chose qui coule ("Renouncing the Agent"). Mouvement, ondulation ("Oncology in Sayre"). Formats non définis, déontologie des codes relative : la durée d’une structure n’est pas une question qui se pose et le son est simplement une matière à travailler, à sculpter. Un travail a priori inextinguible, mais dont l’arrêt devra survenir. Alors, il concrétisera un design.
La musique emporte quelque part, et la destination n’est pas forcément définie. Tous les moyens seront bons. Le beat forme attaque en règle (ressentez le caractère oppressif du son d’Artillery Nightscape sur, par exemple, "Burning the Vein") mais la plasticité de cet art sonore emporte d’autres enjeux que celui de la frappe : il y a dans ces choses une cinématographie, éventuellement abrupte (la recherche d’ambiance peut prendre source dans le bruit, donner dans le dur). Il y a aussi intégration de la source acoustique ("Time Bound Flesh"). Il y a, enfin, ouverture d’un champ propice à la danse. À visiter sur "Flashback (Element Visitation)" : certainement l’un des designs les plus directs et envoûtants de l’album. Plus dur et abstrait, un grondement hypnotique est mis en œuvre sur "A Jo Jo A Go Go (take her to the Stake and burn her)").
Avec pour toile de fond "la lutte constante que nous menons tous face à l'adversité" et l’aléa qui marque fatalement l’issue de ces batailles, Devoevo expose un son de la persévérance et du renouvellement. C’est une série de possibles, attestant du fait que Talada a sans doute trouvé en les machines un outil de l’instinct. Le disque, premier d’une série de deux, est dédié au père du protagoniste principal : Ray Leroy Talada, emporté par le cancer.