Artuan de Lierrée, un pseudonyme qui fleure bon le romantisme et les élégies médiévales… Ce projet, créé il y a plus de dix ans par le Limougeaud Aurélien Terrade, ne cesse de surprendre et de sortir des sentiers battus. Obsküre l’avait rencontré il y a de cela six ans lors de la parution de son album Les Arcanes, inspiré par le Tarot de Marseille. En effet, le musicien de trente-sept ans nous avait alors confié être passionné par l’occultisme, un sujet qui caractérise son oeuvre. Formé au piano au Conservatoire de Limoges, il a suivi un cursus académique, lui permettant d’acquérir des bases solides en composition. Ainsi, nous pouvons débusquer diverses influences classiques dans son style, notamment l’impressionnisme de Debussy. Mais son art déborde de ce cadre, et l’on y perçoit d’autres univers : la musique de film, le cabaret, l’expérimental…
Aujourd’hui, Artuan frappe fort avec ce Winterreise à l’imagerie violemment sombre, évoquant immédiatement celle du black metal et du dungeon synth. À ce propos, nous vous conseillons de prêter une oreille à Forteresse & Maléfices (2022), un disque qui s’inscrit pleinement dans ce dernier courant électronique. Ce périple musical est une adaptation (libre) du Voyage d’Hiver de Schubert, un cycle de vingt-quatre lieder porté par la poésie de Wilhelm Müller. Cette liberté de ton éclate tout au long de ces treize morceaux. Ce nouvel opus foisonne de sonorités disparates, tout en gardant cette volonté de toujours capter l’attention de l’auditeur. Il s’agit là d’une bande-son horrifique, un cauchemar de vingt-six minutes, mystérieux et troublant, où les fantômes de Franz Kafka et Arthur Machen semblent s’être donné rendez-vous pour nous hanter…
Ainsi, Winterreise se démarque par son ambiance funeste, où le metal le plus extrême côtoie des ritournelles enfantines, une forme de new age étrange ("Souvenir"), des field recordings ("illisible")… "L’Étranger" démarre puissamment, avec sa guitare et sa basse inquiètes, montant progressivement avant un final démoniaque. Le funeral doom se confronte au BM dans une valse spectrale et terrifiante. Cet aspect se retrouve par touches modestes, comme sur les furieux "Rétrospection …", "… j’ai trébuché sur chaque Pierre" et "Tant brûlent mes Blessures". Mais ce ne sont pas les meilleurs moments selon nous. En effet, Artuan s’impose dans le minuscule, lorsqu’il déploie des sonorités inhabituelles, plus douces (cf. "Le Vent du Nord", "Le Murmure des Rameaux", "Le Ruisseau", "Feu follet").
Après une écoute attentive de cet effort, le bilan est plutôt positif. Nous sommes toujours charmés par l’inventivité du Français, qui parvient constamment à nous dérouter et à nous attirer dans son monde sombre et ésotérique. Néanmoins, nous devons relever quelques faux pas, mentionnés plus haut, bien qu’ils restent mineurs. Artuan de Lierrée confirme de façon audacieuse qu’il sait tisser des climats hypnotiques avec peu de moyens et un travail recherché sur la production (parfois volontairement lo-fi). Son amour des soundtracks de films de genre éclate majestueusement, en particulier sur "Le Murmure des Rameaux". Cette piste débute par quelques notes d’harmonica funèbre (clin d’œil évident à Ennio Morricone), avant d’être portée par une guitare mélancolique. Simple et magnifique, deux adjectifs qui correspondent bien à l’artiste.