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Ténèbres, puits sans fond. Obsküre plonge, fouine, investigue, gratte et remonte tout ce qu’il peut à la surface

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Interview
19/07/2019

Artuan de Lierrée

Photographies : Ardönau (extérieurs) / Campagnie Valentin Photographie (portrait n&b)
Genre : Musiques étranges
Posté par : Klär T.

Artuan de Lierrée. C’est derrière le charme suranné d’une anagramme que vit et se construit le projet musical personnel du multi instrumentaliste limougeaud Aurélien Terrade. Accompagné depuis plus de cinq ans par plusieurs musiciens de formation classique, il explore au travers de ce quintette une voie musicale syncrétique mêlant l’esthétique classique et les musiques actuelles.
En 2018, la formation sort sous le label 1001 Notes, l’album
Les Arcanes : un voyage instrumental et énigmatique, une plongée au cœur des vingt-et-une lames du Tarot de Marseille, soutenue par un travail graphique et vidéo sur scène. Il y a quelques mois, nous avions eu l’occasion de découvrir en live cette étonnante poétique, et Aurélien Terrade nous fait aujourd’hui l’amitié de nous parler de sa démarche artistique, de ses influences et de ses projets futurs.  
 
Obsküre : On sent chez Artuan de Lierrée une envie de désacraliser l’écriture classique au profit d’une  nouvelle grammaire qui fusionne musique ancienne, pop rock et minimalisme… qu’en est-il ?
Aurélien Terrade : J’ai une base classique par mon éducation musicale. Le fait d’avoir suivi des cours d’analyse et d’écriture classique et d’être naturellement à l’aise avec l’écriture solfégique fait que je reste attaché à la musique classique. Pour autant, je n’ai pas envie de créer quelque chose de figé. Dans les musiques qui m’influencent, toutes ne sont pas forcément écrites. Ce qui m’intéresse est de mélanger l’écriture classique avec d’autres esthétiques, dans une démarche de recherche de sons. Je ne prétends pas être un compositeur au sens classique du terme, je trouve d’ailleurs que ça n’aurait pas trop de sens aujourd’hui.

L’univers musical d’Artuan de Lierrée est une combinatoire de textures organiques, parfois avec un rendu bruitiste, et de textures synthétiques se côtoyant sans complexe. En tant que musicien, te définis-tu comme un iconoclaste transgressif, un inventeur qui s’affranchit des codes, un alchimiste du son ou rien de tout cela ?
Ma démarche est d’abord empreinte d’une curiosité et d’une appétence pour le son. Je vais puiser une matière chez différents compositeurs classiques et aussi dans les musiques actuelles, notamment les textures post-rock qu’on entend sur Les Arcanes. En fait je cherche à déconstruire et à agencer des choses que j’aime.
 
Tu es de formation classique, rompu à un répertoire exigent mais quand on écoute tes morceaux, on imagine que ton panthéon musical est probablement éclectique… des influences de prédilection ?
Il y a effectivement des compositeurs auxquels je me réfère de manière obsessionnelle comme Debussy ou Ravel… globalement, l’école française du début du XXème. Prokofiev est aussi une référence que j’apprécie. Mais je me nourris aussi beaucoup des compositeurs modernes avec un compositeur de prédilection comme Ennio Morricone, très connu pour ses musiques de western mais qui est aussi quelqu’un d’hallucinant et hyper inventif dans sa recherche de sonorités… pour moi c’est un génie. Et puis il y a des musiciens très marquants que j’aime beaucoup comme John Zorn : il est très éclectique dans sa démarche de composition, il mélange savamment jazz, musique hardcore… Frank Zappa est aussi une influence importante, j’apprécie son univers foisonnant. Tous ces musiciens-là ont la particularité de ne pas être restés dans leur style d’origine et d’être des explorateurs - et je trouve cela très intéressant.
 
Est-ce qu’à l’instar de l’écriture classique, tout est écrit et figé dans le marbre chez Artuan de Lierrée, ou laisses-tu à tes musiciens une part d’instinct ?
Oui, totalement. D’ailleurs dans le groupe, il y a effectivement des musiciens de formation classique mais aussi des personnes comme Thomas Delpérié à la batterie qui, même s’il a fait un peu de guitare classique, reste avant tout un autodidacte. Pour les parties batterie par exemple, je fais souvent des maquettes pour me donner une idée de comment ça peut sonner. Après, on les teste in vivo. Les parties cor /clarinette sont jouées par Simon Bessaguet et Thibault Chaumeil, tous deux issus d’un parcours classique ; donc là les partitions sont écrites.
D’une manière générale, j’écris les notes mais je n’écris pas les intentions… je laisse toute l’interprétation aux musiciens. C’est plus intéressant pour eux comme pour moi de fonctionner comme ça. Et puis je ne prétends pas écrire quelque chose qui va sonner tout de suite. Entre la maquette et le rendu sonore, c’est souvent différent donc on ajuste. Je reste néanmoins le chef d’orchestre de tout ça, l’idée c’est qu’on aille dans la direction que j’ai en tête pour un morceau. Je pars d’une idée préconçue et j’élargis. Il y a des morceaux aussi où je prévois des moments improvisés : ça va tourner autour d’un accord, d’une ambiance… par exemple le morceau 13, "L’Arcane sans Nom", est complètement improvisé en groupe avec juste une ligne directrice de treize coups de cloche ; c’est une impro dirigée.

Ton line-up est composé majoritairement de musiciens issus de l’orthodoxie classique… Au-delà du parcours commun, qu’est-ce qui vous unit ? Est-ce que ce sont toujours les mêmes partenaires depuis le début de l’aventure ?
Je n’ai pas recruté des gens pour le projet, ce sont des personnes que j’ai rencontrées dans le cadre de mes études de musique, comme c’est le cas avec Simon et Thibaut.  Thomas, c’est davantage une rencontre (lors d’un concert). Baptiste Lherbeil (vielle à roue, trombone) est une connaissance de Thibaut : ils jouent tous les deux sur une scène nouvelle musique traditionnelle. Thibaut joue notamment dans le groupe San Salvador. Tout cela permet de faire des connexions et de travailler en ajouts successifs. Au-delà de la musique elle-même, l’important est que cela fonctionne humainement parlant.  
 
Les Arcanes est ton deuxième album. Tu  utilises comme trame de fond chaque lame du tarot de Marseille pour créer un tableau sonore et visuel… Est-ce pour en saisir la puissance mystique et/ou prophétique ? Qu’est-ce qui t’as poussé à explorer une thématique aussi ésotérique ?
C’est un intérêt perso pour l’occulte, pour ce qui a un sens caché. C’est un univers que j’aime beaucoup où la symbolique est très présente, où les pistes sont brouillées et où il faut reconstruire le sens. C’est ce que j’essaie de faire avec ma musique en donnant des pistes, en suggérant des images cinématographiques… et c’est à l’auditeur de se faire sa propre imagerie. Dans la même veine, je m’intéresse aux oracles, je travaille en ce moment sur le Yi king, un oracle asiatique et je crée des morceaux à partir de cette matière. Pour ce projet nommé "Cycles", j’ai choisi de faire des publications solo sous forme de petites vidéos d’une minute et je les diffuse sur Instagram. J’ai sorti aussi des projets sous format k7, comme l’album que j’ai créé sur le manuscrit de Voynich. En fait, ces projets-là sont un peu plus expérimentaux et ne feraient pas l’objet d’un album dans un circuit classique mais comme ils sont très inspirants pour moi et que j’ai envie de les sortir, ça prend cette forme.
 
On retrouve dans l’album des ambiances qui installent l’auditeur dans un univers enfantin, mi onirique mi anxiogène, c’est le cas dans le morceau "L’Ermite" ou "La Roue de Fortune" qui personnellement m’évoquent quelque chose de très cinématographique, comme une fête foraine vue par Tim Burton ou un conte de Grimm. Artuan de Lierrée aurait-il vocation à œuvrer dans la création de bandes-son pour le cinéma ?
Je suis influencé par des compositeurs de musique de films donc ça vient naturellement : Danny Elfman, le compositeur de Tim Burton, m’influence effectivement ! Ce timbre un peu angoissant détourné m’intéresse bien.
De la musique pour l’image ?… Oui pourquoi pas, c’est intéressant mais j’aime bien procéder à l’inverse : c’est-à-dire créer une musique pour être jouée en live et accompagnée par des images. Il y a dans la musique de films un côté très cadré qui est intéressant, c’est vrai, mais qui est différent du travail que je fais où je suis finalement totalement libre et où le cadre, c’est moi qui le fixe.

Dans Les Arcanes, le "Hiérophante" est le seul tableau qui intègre des voix, marquant ainsi une forme d’accident par rapport au reste de l’album totalement instrumental… La voix est un motif que tu utilises peu, pourquoi ce choix ?
Effectivement, il y en a aussi un tout petit peu sur le premier morceau des Arcanes mais c’est très discret. Hormis un EP que l’on a sorti avec une voix féminine lead, je n’utilise pas plus que ça la voix parce que je n’ai pas envie de basculer dans quelque chose de véritablement chanté. Dans la chanson, tu te focalises sur la voix et tu perds souvent les instruments qui sont derrière. Je ne rejette pas complètement le travail sur la voix, je travaille en ce moment sur un projet qui va intégrer du chant mais pas dans une approche traditionnelle car je ne souhaite pas faire des chansons, je tiens à conserver au maximum la typicité instrumentale pour sa richesse.

Sur l’aspect scénique, parle-nous du travail vidéo réalisé par Clément Bernis sur Les Arcanes… comment avez-vous fait converger vos approches musicale et visuelle sur cet album ?
Avec Clément Bernis, nous avons une sensibilité artistique commune, du coup on se comprend bien. Il amène dans le groupe un univers enfantin qui se recoupe bien avec le mien. Il travaille le matériau image avec un rendu un peu usé/vieilli qui fonctionne très bien.
J’ai souvent une idée de départ sur un projet mais je lui donne carte blanche en gardant la direction vers laquelle je souhaite aller : nous réajustons parfois mais c’est à la marge car nos choix artistiques convergent. Sur Les Arcanes, il a fait un énorme travail de recherche iconographique : il a notamment puisé dans l’iconographie médiévale pour enrichir son traité graphique.
 
Les Arcanes est ton deuxième album sorti avec le label 1001 Notes (NDLA : qui est aussi un festival de renom dans la Région Nouvelle-Aquitaine)… Comment a démarré votre collaboration ?
Il y a quelques années j’ai fait du clavecin et la prof avec laquelle j’étudiais s’est intéressée à ma musique et m’a suggéré de rencontrer Albin de la Tour qui est le fondateur et directeur du festival 1001 Notes. Cela a tout de suite bien fonctionné parce qu’Albin gère le festival avec une volonté d’ouverture de la musique classique sur d’autres esthétiques.
J’ai travaillé pour lui d’abord sur un récital de piano avec l’album Aquarium (NDLA : premier album sous le label 1001 Notes) pour progressivement proposer une approche plus hybride - musique d’inspiration classique mais avec une plus grande liberté de ton. Et sur le deuxième album Les Arcanes, il m’a laissé totalement carte blanche. C’était un projet très ambitieux que j’avais en tête depuis longtemps et qui allait nécessiter une production avec des moyens. Et Albin m’a fait confiance… Ça a été génial.
 
Aura-t-on l’occasion de voir ou de revoir Artuan de Lierrée sur scène prochainement ? As-tu de nouveaux projets d’album en perspective ?
Justement grâce au festival 1001 Notes, nous sommes en première partie du spectacle Folia au Zénith de Limoges samedi 20 juillet 2019 ; nous allons jouer une bonne partie de notre spectacle Les Arcanes. C’est super pour nous de pouvoir présenter le projet sur une plus grande scène… c’est un très beau coup de projecteur que l’on doit à Albin.
Je vais également jouer au festival Sachô Galiero à Vicq s/Breuil (Haute Vienne) en août, mais ce sera en solo. Il s’agira d’un format de concert plus petit qui convient parfaitement pour mon répertoire électro : je présenterai des miniatures électro composées à partir de mécanismes musicaux que je récupère et que j’utilise dans mes expérimentations sonores. Concernant d’autres projets à venir, nous avons un nouvel enregistrement qui se construit actuellement et devrait voir le jour vers 2021/2022. En solo, j’ai un également un enregistrement piano seul prévu pour l’année prochaine chez 1001 Notes.

En concert
  • SAMEDI 20/07/2019 : première partie du spectacle 'Folia' - Zénith (Limoges - 87)
  • SAMEDI 31/08/2019 (16h00) : Festival Sachô Galiero - Vicq s/Breuil (87)
  • JEUDI 03/10/2019 : La manufacture Chanson (Paris) [+ Clare Louise / Ignatus]