Ashton Nyte n’est pas un inconnu pour qui aime le gothique classique issu de la de la deuxième vague du milieu des années 1990, celle qui a vu émerger les Love Like Blood ou autres Dreadful Shadows. Fondateur en 1995 et unique membre permanent du groupe sud-africain The Awakening, Ashton Nyte a sorti par le biais de cette formation plusieurs albums, dont le dernier en date, Chasm (2019), a facilement réussi à convaincre notre oreille en présentant un travail bien produit et jouissant d’une touche personnelle. L’orientation acoustique donnée cette fois-ci aux morceaux a probablement décidé celui qui vit désormais aux USA de sortir cet effort sous son propre nom.
Il ne s’agit en aucun cas d’un coup d’essai puisque le nombre d’albums sortis sous son patronyme est globalement similaire à celui portant l’étendard de The Awakening. L’homme est donc productif mais n’oublions pas qu’il est actif sur la scène indépendante depuis plus de vingt-cinq ans. Nyte est également connu pour ses nombreuses collaborations dont l’une des plus réussies est l’album commun avec Mark Gemini Thwaite, ancien guitariste de The Mission et de Tricky mais également de Peter Murphy, sobrement nommé Gemini Nyte et sorti en 2018. Autre collaboration notable : sa présence sur les albums de Beauty In Chaos, le projet de Michael Ciravolo.
La rencontre avec Ashton Nyte dans le cadre des concerts solo de Wayne Hussey, glorieux leader de The Mission, sur la tournée dantesque de 2019 initiée par ce dernier (et intitulée Salad Daze, puisque servant de support promotionnel à la sortie de son autobiographie), nous avait clairement marquée. L’homme jouait en acoustique une partition particulièrement touchante, sa présence ne laissant personne impassible et son humour (noir, cela va sans dire) fut des plus appréciés. L’annonce de la sortie d’un album acoustique nous a donc ravis, impatients que nous étions de retrouver la profondeur très caractéristique de la voix d’Ashton Nyte.
L’album intitulé Waiting For A Voice tient très largement ses promesses. Loin des envolées électriques de The Awakening, Ashton Nyte se place en roi nu. L’interprétation est ici l’enjeu principal, le chanteur ne se cachant derrière aucun artifice. Les arrangements (piano, cordes) sont d’une finesse extrême et ponctuent l’ensemble d’ambiances tantôt folk ("Ocean Song"), tantôt curesque (le superbe final de "Awake") mais sans jamais tomber dans un cliché gothique, vers lequel sa voix sépulcrale aurait pu l’amener. Beaucoup de pudeur ici, de retenue et de sensibilité. À l’inverse d’une King Dude qui place le bricolage maison en marque de fabrique, Ashton Nyte vise la beauté grâce à une production soignée et y parvient avec brio. Les titres n’ont aucune peine à s’ancrer en nous, et ce disque ne s’épuise pas malgré plusieurs écoutes. De façon ponctuelle mais bien amenée, les guitares électriques apportent une fougue rappelant que derrière le calme apparent gronde une tension sourde.
Il est à noter que la personnalité de l’artiste, d’une humilité rare et d’une sincérité évidente imprègne ces douze chansons d’une touche émotionnelle supplémentaire. Ashton Nyte a fait le pari risqué de reprendre "Heroes" de David Bowie, sans faute de goût ni maniérisme quelconque. L’artisan, poussant sa démarche artistique à l’extrême, a même sorti un remarquable livre accompagnant le disque, compilant paroles, poèmes et pensées diverses.
Cet album n'est peut-être pas novateur, ni particulièrement aventurier ou surprenant mais il est l'expression intime d'un homme authentique et délicat, livrant avec élégance les tourments de son âme. Un bien bel album, une magnifique personne, l’art à son firmament.
