La lie de l’humanité : les exclus, la crasse, et demain nous, peut-être, dans la lie, notre perte. Black Maria : les fourgons de la lie, la police fait le ménage, les rues resteront propres.
Sur le cru Attrition 2024 (en travail depuis des années), Martin Bowes étale verve et possibles. Formes versatiles : The Black Maria est dans l’élan et le recueillement ("The Pillar II"). La vie, un mouvement. Après la disparition de la compagne Kerri Bowes début 2022, vous auriez peut-être imaginé l’installation climatique, et feutre funéraire en dominance. Non. The Black Maria aboutit des processus pour certains anciens de plusieurs années (les singles "The Great Derailer" et "The Alibi") et se veut de dynamiques.
L’album est dédié à Kerri (03/05/1982 - 08/01/2022). Face à la perte, un virage à négocier. Dolorosa, inutile de s’étendre. Martin, pour qui un art de la rotation a depuis longtemps sustenté le processus (en fonction des besoins, des époques), s’est tout sauf replié sur lui-même : la mosaïque de The Black Maria est une sculpture de son dont le caractère protéiforme est à relier à la profusion des guests. Les mixtures du vivant, voix venues de l’extérieur : l’ancienne gorge d’Attrition est de retour, tout d’abord. Julia Niblock, oui (Julia est partie après Dante's Kitchen, en 2004), ambiance de retour aux racines mais pas uniquement. Avec elle, d’autres servent aujourd'hui les intérêts d’Attrition : Emke (de Black Nail Cabaret, sur "The great Derailer", dévoilé en 2020), mais encore Elisa Day (Hetaira Decrépita) ou Yvette (Vaselyne), toutes deux agissant sur "The Alibi". Forces unies au service d’un sound design auquel d’autres artisans du détail apportent eux aussi leur grain. Parmi eux, Annie Hogan (Marc & The Mambas, etc.) au piano, Kris Force au violoncelle, plusieurs intervenants au violon, Ian Arkley de My Silent Wake à la guitare.
La mémoire travaille. Les ambiances forment repli, c’est la part d’intériorité, mais il y a du mouvement, de l’épice : les cordes et voix invitées épointent une rythmique caverneuse : "The Alibi", dévoilé en 2021, fixe ses splendeurs. Et le constat s’impose : Martin a de la ressource. Le sépulcre du titre éponyme final vous hypnotise (allez jusqu’au bout de la piste) et il n’est pas le seul. De A à Z, The Black Maria véhicule un art de le survivance et fait montre d’un appétit. Martin vous pousse une fois de plus dans les retranchements de la danse et une énergie se dégage, volontaire. Quelle plus belle célébration que celle des possibles ?
Attrition recompose la famille pour l’acte de survivance, sans doute y a-t-il puisé une force. La nouvelle collection, à propos de laquelle Martin a pu dire qu’elle prenait source dans "des événements et de sentiments réels plus [qu’elle ne faisait référence à] de vraies personnes" porte en elle une signature : les substances noires et troubles qui ont fait la marque restent là, d’abord. Les moments les plus expérimentaux, ambiants, déploient les reliefs les plus interrogateurs, inquiétants – cf. la transe douce au noir psychédélisme de "The Reprisal" ou le pénétrant climat au piano fantôme de "The Zero Hour", évocation d’une "tentative sacrificielle de poursuivre les choses." Et puis en recourant à d’autres formes plus directes, démonstratives sans doute, Attrition aspire à nouveau à la délivrance des corps. Alors vous danserez, oui, sans doute. Sans jamais oublier que tout cela n’est pas gratuit, que ça vient de loin. Que quelque chose nous travaille, jusqu’au bout.