SIGN, successeur du NTS Sessions 1-4 de 2018 (les huit heures de musique réalisées sous commande pour la webradio NTS), est un ensemble sinueux et aux ambiances achevées.
Autechre, une orfèvrerie : nous ne vous apprenons rien. Depuis le début des années 1990, le binôme formé dans la deuxième moitié des 80’s n’a de cesse de surprendre par la force expérimentale, rythmique et mélodique de ses abstraites constructions machinistes. Sous un artwork signé The Designers Republic, SIGN est peut-être l’une des collections les plus digestes (oui, vous lisez bien) et séduisantes qu’aient jamais proposé Sean Booth et Rob Brown, tous deux originaires de Rochdale, à proximité de Manchester : la ville que le monde connaît, entre autres, pour son football et ses musiques acides et dansantes, notamment depuis le milieu des années 1980.
Ce Manchester est spectacle (cliché ?), quand Autechre incarne la singularité d’une aventure interpersonnelle. SIGN : détail en couches et surcouches, mais Autechre planque. Détails translucides : rejeter l’effet de charge, une manière d’exiger l’attention. Et ce digitalisme hypnotique manifeste plusieurs intentions en une sur le cru 2020 : dans le moule des volutes superposées, se trouvent une ambition climatique et un désir de mélodicité, d’envelopper. Cette aspiration se manifeste dès l’entame et caractérise le diptyque "M4 Lema" / "F7". Des morceaux qui, pour certains, sont le fruit d’un travail lent et empirique. La finition du premier s’est étalée sur un trimestre.
La tournure mélodique d’ "es desc", elle, rappelle les harmonies fondamentales (à une près, la quatrième de la tournerie coldwave culte) du "A Forest" de Cure. Il y a là sa dimension lunaire, son clair-obscur – mais ici comme ailleurs, les machines gardent gouvernance. Leur abstraction ouvre l’espace, creuse les sillons tout en patience et minutie ("Metaz form8"). Pas d’explication, jamais ; de voix, encore moins. Uniquement l’exposition de sculptures sans visage et à propos desquelles le binôme ne s’est jamais montré disert.
Réserve de rigueur, toujours, pour SIGN. Fort discret jusqu’à la sortie de l’essai 2020 (une entrevue a néanmoins été publiée par le New York Times trois jours avant la parution, entretien rare et capté via Facetime – contextualisation par le journaliste Jon Pareles : "Booth dans un endroit non divulgué depuis la Norvège et Brown à Bristol"), le duo a tout de même donné quelques détails sur l’histoire de la nouvelle collection automne-hiver. Un travail démarré en home studios distincts, mode distanciel retenu bien avant la pandémie : un travail entrepris sur 2018-2019 par ces équipementiers qui éprouvent toujours cette difficulté à se définir comme musiciens. Modestie, handicap de langage ? Des bricoleurs alors ? Admettons, mais reconnaissons avant tout à Booth et Brown ce qui fait l’âme des artisans, des vrais : cette obsession de la précaution dans la mise en œuvre du savoir-faire.
Travailler de pair. Dessein ne se définit que par mise en commun des sources : un moment de partage qui ne s’est produit, pour SIGN, qu’au bout d’un an de recherches en mode solo, chacun dans son coin, avant qu’un jour ne se décide le sharing et que démarre le mélange.
C’est beau, vraiment. Il y a du grain, de la mélancolie. Quelque chose que l’on ne retrouve pas systématiquement dans une œuvre qui de tout temps privilégie l’effet de surprise, les angles. SIGN renvoie, lui, non pas à ce chaos organisé auquel on pense souvent à propos d’Autechre. A contrario, la forme est fluide, économe en apparence. Cette fois, et c’est peut-être ce qui rendra SIGN précieux, le bricolage aboutit à quelque chose qui pourrait faire office de porte d’entrée vers cet univers. Une musique ambitieuse mais… abordable, oui. Abordable. Nombre de sculptures ouvrent ici comme un espace de promenade voire d’errance ("sch.mefd 2"). Un espace à s’approprier, à remplir.
Autechre aime les énigmes, et sait entretenir la sienne. Les titres des morceaux sont, comme d’habitude, volontairement indéchiffrables. Un "cryptisme" joueur et assumé : à la question du choix des majuscules utilisées pour le titre de l’album, Brown répond au New York Times qu’il s’agit là d’"une initialisation – mais nous ne voulons dire à personne ce que cela représente." Un vocabulaire du mystère illustratif des formes mêmes de cette musique : atypique dans sa formulation, indicible et à la fois tant à nous, tant à eux. Eux sont pleins maîtres d’œuvre : ils construisent leurs outils, maîtrisent leurs logiciels et machines – et hors de question de laisser les outils prendre la parole en mode "auto-généré". La nature, la vie des hommes se trouvent dans le conte. L’humanité veut dire et dicte, le logiciel crypte, et un mystère demeure.