Retour d'Autumn Tears en temps troublé. Comment cette musique va-t-elle se confronter à la situation qui nous préoccupe tous ? Est-elle capable de signifier dans un contexte donné ?
La problématique, à première vue, semble un piège. La musique et la présence d'Autumn Tears depuis tant d'années se situent hors-sol, c'est-à-dire hors de notre monde. L'artwork est une fois de plus magnifique, servi par les peintures de Marcela Bolívar, entre préraphaélisme et fantastique (livret de vingt pages avec les paroles). Leur déclinaison sur les t-shirts et les masques (tiens : retour au réel) est une merveille. Plus étonnante est la concordance mise en avant de la sortie du disque, le 8 mars 2021, avec la Journée Internationale pour les Droits des Femmes. Mais, en anglais, la portée est moindre, le groupe notant sa joie de participer ainsi au Women International Day, sans référence à une lutte. Les instruments, toujours typés néoclassiques et les voix angéliques ont leur dose de mélancolie, souvent efficace et belle ("Cast your Eyes to behold Me" incluant Caroline et Darren Clarke), décalée et envoutante. Les compositions ne cherchent pas un point d'appui mélodique fort, préférant prendre le temps des sensations, tant dans le rythme, lent, descriptif, que dans la construction en plusieurs étapes. Les voix jouent entre elles, s'approchent, se joignent, se séparent. Ce n'est plus le cas du groupe dont les vingt premières années marquèrent les fans par les multiples changements de chanteuses et les périodes d'absence (jamais le terme de split n'avait été utilisé par le fondateur Ted Tringo). Cette fois-ci, on est presque étonné de la dynamique mise en branle, puisque depuis le "retour" de 2018, les sorties se sont enchaînées et c'est désormais leur huitième album.
La simplicité est parfois de mise, posant des impressions, précieuses ("Reunion"), sans trop en faire. Ainsi la richesse orchestrale de The Origin Of Sleep est-elle délaissée. Le piano s'offre la belle part sur ces titres ("Wordless Waltz") ; de rares fois, ce sont les cordes qui flottent et caressent ("Succumb" et ses décalages harmoniques légers). La grande variété des voix (huit intervenants) gêne par moments, conduisant à effectuer des préférences alors même que les musiques œuvrent à une homogénéisation. Les ritournelles s'enchaînent, gênantes dans leur uniformisme ("Knowing All has been decided" aurait été magnifié par une Björk malgré la performance d'Ann-Mari Edvardsen). Pourtant, au fils des écoutes, l'impression est tenace de ne plus avoir affaire à un groupe, mais bien à un ensemble dirigé de dix-huit musiciens. De ce concept émergent de grandes réussites comme "We can almost hear Them" regroupant Agnete Mangnes Kirkevaag et Ann-Mari Edvardsen (The Third And The Mortal). Et, en se donnant onze titres et plus d'une heure (The Glow of Desperation fait suite au double album The Air Below The Water !), les idées fusent, comme ce jeu avec la comédie musicale et les chants d'un autre temps (encore) sur le bien écrit (et chanté au masculin) "For You the Nameless... We sing". Les moments forts en émotions se trouvent néanmoins trop dispersés (le très poignant et cadencé "Throw It over", le dynamisme de "Human Artifact"). La fluidité des instrumentations met les voix en apesanteur, et c'est parfois pompeux ("How still the Day", aux vibratos poussés). Pour finir, le titre éponyme semble déphasé, puisqu'il place une rythmique quasiment anachronique. Une sorte de réveil impromptu pour un disque qui cherche ses véritables appuis, dépassé par le nombre ?