Présent dans un programme destiné à la salle nommé Ultra Rêve, le moyen Ultra Pulpe de Bertrand Mandico avait été vu par certains comme un aboutissement de l'œuvre de ce cinéaste singulier et passionnant. D'autres y avaient vu un virage vers un style plus science-fictionnel, assumant l'héritage des collections littéraires du genre des années 1980, avec musique synthétique appropriée tendance cold-wave (très belles compositions de Pierre Desprats), et des références aux films cultes de cette décennie (le Querelle de Fassbinder, le Caligari de Stephen Sayadian, Les Prédateurs de Tony Scott, Liquid Sky de Slava Tsukerman...) et à l'esthétique du vidéoclip. La dimension organique, onirique et déjantée de son travail ne s'en trouvait que décuplée, soulignée par une attention méticuleuse portée aux décors, accessoires, costumes, couleurs et lumières.
Cette sélection de sept films découle entièrement de cet Ultra Pulpe, comme des prolongements sous forme de segments, jusqu'à l'étonnant The Return Of Tragedy, volontiers humoristique, où le style camp s'assume jusqu'à évoquer l'univers très américain des frères Kuchar, avec deux flics qui semblent sortis d'un film de Dupieux. La mélancolie et le romantisme sombre ne sont pas laissés de côté pour autant, notamment à travers le personnage de Joy d'Amato, troublante double du réalisateur en la personne de sa muse Elina Löwensohn, frustrée par un amour trop fort pour sa comédienne Apocalypse (Pauline Jacquard), déchirée par le désir, la folie et la passion jusqu'à en avoir perdu toutes ses larmes.
De cette mise en abîme - quasiment rituelle - du cinéma, émerge un amour sans limites pour le médium, où la fin d'un tournage s'apparente littéralement à une mort tragique. Dans cet univers torturé et ludique à la fin, les références à l'horreur fantastique sont légion (on touche carrément au gore dans Niemand ou avec le vomi vert d'Ultra Pulpe), et l'érotisme y est "moderne et sale", totalement fétichiste et étrangement assez tendre (les baisers déposés sur l'estomac poilu en lévitation de The Return Of Tragedy). Les figures féminines sont glamour à souhait, excessivement maquillées et belles à en crever, avec toutes les actrices préférées du cinéaste (Vimala Pons, Nathalie Richard, Lola Créton, Pauline Lorillard ou encore Christophe Bier, sublime travesti, lui-même double ou "sœur de sang" d'Elina Löwensohn dans Niemand ou Huyswomans).
Riche de visions folles, d'un univers où personne ne meurt vraiment et d'une galerie de créatures incroyables (les gorgones motorisées d'À Rebours, le primate d'Ultra Pulpe, les siamoises desséchées ou les guerrières de récits d'heroic fantasy d'Extazus), ces sept films complémentaires répondent pour un bon nombre d'entre eux à des commandes. Ainsi, la musique y joue un rôle essentiel, celle de M83 pour Extazus, celle de Kompromat pour Niemand. Electro bien sûr. Les couleurs dingues (amalgame de vert, de rose ou de bleu) accentuent la dimension clipesque totalement revendiquée. Mandico a toujours cité ses références (Kate Bush dans The Return Of Tragedy, Cocteau, Ballard ou Bava dans Ultra Pulpe, le Ballard de Crash ! encore dans Niemand...) mais il extrait de tout ça une drôle d'énergie salvatrice et un monde obsessionnel qui n'appartient qu'à lui. On jubile à se plonger dans ce petit univers bizarre, et on souhaiterait ne jamais le quitter, même si les thématiques peuvent être aussi assez sombres comme celle du vieillissement dans Ultra Pulpe et The Return Of Tragedy incarnée par une Löwensohn plus touchante que jamais. On a l'impression tout du long d'être en apesanteur, perdu dans un rêve, souligné par la post-synchronisation, et le fait que la voix d'une comédienne peut se superposer au visage d'une autre. L'artifice fait partie de l'expérience, les effets spéciaux rudimentaires aussi, et ça marche ! On se perd dans les fumigènes, les voiles au vent, les décors ultra sexués qui semblent sortir d'un inconscient, et on en redemande.
UFO Distribution, en collaboration avec Potemkine Films, après la très belle édition du Lux Aeterna de Gaspar Noé, ne font pas les choses à moitié et assument le luxe. Dans le coffret, on trouve badges, poster, cartes imprimées sur de très beaux papiers transparents, ainsi que la plume de Pacôme Thiellement, le tout enrobé d'une odeur des plus enivrante. L'excentricité quasiment psychédélique de Mandico y trouve le plus approprié des emballages, élégant et décadent comme une vieille mélopée synth-pop sortie d'un disque de Kraftwerk. À l'image de la secte de The Return Of Tragedy, cette édition nous invite à suivre la voie des mondes intérieurs afin de s'adonner à la plus délicate des transformations. Après les deux premiers coffrets Mandico chez Malavida, on peut affirmer qu'avec ce dernier opus, aucun doute est permis : nous tenons là le réalisateur dark que nous attendions depuis longtemps, et qui n'est ni une copie de David Lynch ni de Guy Maddin. Grande chance pour nous, il est gravement prolifique !