Betrayal, en français Trahisons, cultive les paradoxes. Dès l'entrée dans le théâtre londonien, petit cocon surchargé de dorures, l'aspect minimaliste des décors sur scène frappe : un fond blanc, trois chaises, point.
Dirigé par Jamie Lloyd, la pièce clôt un cycle de représentations débuté en septembre 2018 afin de rendre hommage à l’œuvre d'Harold Pinter, mort dix ans auparavant. Avec Betrayal, l'auteur s'est emparé des codes du Vaudeville tout en les modernisant : accentuation des émotions et non-dits, rendant la pièce plus dérangeante que comique. La mise en scène de Lloyd amplifie encore la dimension déstabilisante de cette l'immersion au cœur d’un moment de vie privé.
Les trois protagonistes se partagent la scène. Tantôt acteurs, tantôt immobiles et voyeurs abandonnés dans un coin du plateau... témoins des rapprochements, des moments d'intimité ou de tensions qui ont lieu entre les deux autres. Les émotions, les silences sont pesants - tout comme cette scène où prend place une sorte de ballet malsain entre Robert, l'homme trompé, Jerry, l'amant et Emma, l'objet du "crime".
Pour renforcer l'impact de ces trahisons amoureuses tout autant qu'amicales – Jerry l'amant est aussi le meilleur ami de Robert – le génie de Pinter réside en un déroulé de la pièce à rebours. La première scène se déroule à la fin de la liaison : c’est le temps des regrets ou des souvenirs. Puis le fil remonte petit à petit les années, les mois, les jours pour découvrir un Tom Hiddleston sans pudeur et plein de colère, à la limite de la folie ou de la tristesse en découvrant l'adultère ; mais aussi grand manipulateur, jouant avec les sentiments de son ami et de sa femme. Il faut bien avouer que la pièce repose essentiellement sur les épaules de ce magnifique acteur, plus connu sous les traits du dieu scandinave de la malice via le Loki de Marvel ou d'un sexy Night Manager.
Peu de dialogues, finalement. L'empathie naît de pauses savamment distillées, des mots d'apparence futiles mais qui prennent dans le cadre de cette trahison en sens tout particulier, profond. La photogénie de l'ensemble prend le pas sur l'intrigue grâce à des jeux de lumières magnifiques, poétiques. Il se ressent dans le jeu des acteurs la douleur, la passion, la fausse naïveté mais surtout ces ivresses : celle d'une toute nouvelle relation, celle que l'on ressent aussi quand l'amour s'en va sans qu'on puisse le retenir. On se sent simplement concerné, impliqué.
Durant quatre-vingt-dix minutes, impossible de décrocher le regard des acteurs, de ne pas ressentir les secousses de l'affect. Et même si parfois Zawe Ashton peut paraître surjouer son Emma avec des mimiques et un faux-rire crispants, ses deux compères Charlie Cox et Tom Hiddleston compensent avec brio et sobriété, peignant un tableau poignant de la complexité des rapports humains. Betrayal, joué jusqu'au 8 juin 2019, est un moyen de redécouvrir la potentiel émotionnel shakespearien de l'étonnant Tom Hiddleston, de faire la connaissance du touchant Charlie Cox ; mais surtout de renouer avec le génie d'Harold Pinter, savant alchimiste qui savait créer le trouble en donnant au spectateur le rôle d'un voyeur. À ce voyeur, reste le plaisir certain de découvrir les secrets d’alcôves du trio sujet.