Portée par un succès grandissant sur Internet et les réseaux sociaux depuis la sortie de son single "Ocean’s Eyes" il y a trois ans, Billie Eilish ne m’avait guère interpelé à l’époque. Cette ballade pop un brin mièvre, hommage à peine déguisé à Lana Del Rey, n’avait pas grand-chose pour exciter mes tympans.
La sortie récente du clip de « Bury a Friend », cependant, ravive l’intérêt : l’artiste y fait face à ses peurs nocturnes et cauchemars, dans un morceau minimaliste et oppressant aux infrabasses lourdes et syncopées. Tendu et hanté de pensées suicidaires ("I wanna end me", scandé), ce morceau mérite à lui seul de se pencher sur l’album, se terminant en effet sur la fameuse question : When we all fall asleep, where do we go?
Album qui se présente comme un passage à l’âge adulte, comme en témoigne sans ambigüité le morceau introductif (intitulé "!!!!!!!"): "I have taken out my invisalign and this is the album." De fait le contenu se révèle inégal, oscillant entre délire de fin d’adolescence et questionnements beaucoup plus matures.
"Bad Guy" s’annonce clairement comme un hit en puissance avec ses grosses basses, son tempo dansant, mais arrive à ne pas se prendre au sérieux à l’image de ce "duh" désabusé ponctuant le refrain et cette fin abrupte, ponctué aux infrabasses, qui viennent casser le rythme du morceau. "Xanny" tente de mêler ce coté dur (lourde basse et vocaux saturés) avec les ballades pop des origines, et y arrive au final plutôt bien. "You should see me in a Crown" se présente clairement, lui, comme un des grands moments de l’album : refrain lourd, accents industriels. Billie y montre les dents, exprimant par contraste sa vulnérabilité sur chaque couplet : "Tell me which one is worse/Living or dying first/Sleeping inside a hearse." La demoiselle a en effet grandi et on est désormais bien éloigné des débuts doucereux de "Oceans’s Eyes".
"All the good Girls go to Hell" revient néanmoins à un format plus pop, rythmé et efficace, à défaut d’être vraiment original, de même que "Wish you were gay", chagrin d’amour qui manque de substance à mon goût pour former vraiment le hit qu’il pourrait ou se voudrait être. Le très intimiste "When the Party’s over" porte très bien son nom : le chant mélancolique et légèrement brisé de Billie Eilish y fait des miracles, portant l’émotion sans jamais trop en faire. Ici, on touche le très bon.
La deuxième partie de l’album se révèle plus inégale.
"8", tentative ratée de faire du Cocorosie, ne présente que peu d’intérêt, et "My strange Addiction", pas inintéressant avec son coté hip-hop, ressemble fort cependant à une private joke avec ses extraits de séries TV qui ne parlent qu’à ceux qui savent (voire seulement à Billie elle-même). La suite est cependant d’un haut niveau : en effet si "Bury a Friend", comme expliqué plus haut, est absolument géniale, l’enchaînement sur "Ilomilo" frôle la perfection : tout aussi hanté mais plus lumineux, Billie lutte pour rester à flot ("The world's a little blurry/Or maybe it's my eyes/The friends I've had to bury/They keep me up at night"). Dommage que la fin de l’album perde en puissance
avec "Listen before I go" et "I love you" : eux reviennent à des formats plus classiques, renouant avec les débuts de la demoiselle. Ils s’avèrent assez convenus et guère intéressants.
Au final avec When We All Fall Asleep, Where Do We Go?, Billie Eilish fait une entrée remarquée dans la cour des Grands. L’album est certes inégal et l’artiste se cherche encore, mais la musique est bonne et le tout porte de grandes promesses. Un album à garder sous la main en attendant de voir, et non sans impatience, sur quelle voie la chanteuse s’engagera en mûrissant.
