Deuxième album de ce trio venu des Pays-Bas, Retrocausality met le pied dans la cour des grands. La musique prodiguée sait être à la fois massive et aérienne. Le jeu de la basse est léger, inventif et reste, malgré un esprit fortement tiré vers le jam, dans un cadre qui permet à la guitare de partir dans de multiples solos heavy qui racontent des choses, puis de s'exprimer avec des couleurs noise bruitistes à la no wave, dans un même titre sans que cela ne fasse puzzle ou déconstruction.
On est très vite emportés par cette façon de vivre la musique et la création. Le groupe a choisi d'enregistrer les titres en une prise et cela donne tout son sens à une musique taillée pour la scène (d'ailleurs, le groupe ne s'embarrasse pas et publie en ligne la captation complète d'un concert où ils ont joué tout leur premier album).
La frappe de Peter est calée sur un côté, légèrement en retrait et c'est la basse de Huibert qui forme son mur, lézardé méthodiquement et avec joie par la guitare de Nik. Le jeu des larsens et harmonies distendues est particulièrement bien rendu sur "Non-Lokaliteit" : sans doute un poil trop psychédélique, ce titre passe progressivement de l'acide au sucré, alors que l'entrée en matière était bien plus inquiétante que cette bascule jazzy. Heureusement, la longueur (treize minutes !) permet un revirement doom bien plus entraînant. Les changements de rythme abondent et les idées foisonnent : on est loin de la caricature du groupe bloqué sur un style et une énergie (Bismut rejoint en ça nombre de ses copains-copines sur le très bon label Lay Bare Recordings).
Voyageant dans une partition qui va des prémisses du Black Sabbath (le lancement de "Varasaga") aux poussées de la NWOBHM (le démarrage de "Predvidanie"), Bismut s'ouvre un horizon large et donne à sa musique instrumentale des atouts pour raconter et décrire. Les échanges sont constants entre les musiciens et dégagent une puissance rare ("Varasaga" et ses nombreux dialogues offensifs). Pourtant, une fois de plus, ce qui domine, c'est cette impression de fluidité : leur musique a un corps et une tête et elle s'y tient.
L'album fait plus de soixante-dix minutes pour six titres ; "Antithesis", se démarque : placé sous les quatre minutes, il condense les riffs entendus auparavant en un brusque sursaut, comme un bouquet final. Est-ce un peu long ? Sans doute, même s'il semble que l'habitude soit prise, au point que désormais les rééditions cumulent elles aussi les bonus à n'en plus finir.
Le groupe s'est déjà fait un solide succès d'estime (comprendre : "encore peu connu, mais repéré") par ses performances ; cette sortie avec une vraie campagne de promotion s'annonce comme un des points forts de la rentrée dans la catégorie des musiques lourdes.