Faisant suite à la sortie de l'EP avec Beta Evers (mais avec un bon retard lié aux confinements germano-français), ce nouveau long format de Black Egg confirme le choix d'un retour aux sources du projet, digne des titres de Legacy From A Cold World (2013). Pour dire les choses crûment, aucun de ces dix nouveaux titres n'est une gentille chanson comme l'étaient par exemple "Everything" sur Songs Of Death And Deception ou encore "Neon Man" sur Melencolia. Dès la prise d'air initial, on sent qu'on sera étouffé et ravi par ces nouvelles compositions ancrées dans l'austère cold-synthétique (les cris qui lancent "Desire (Wax Play)" sont un sample de Peter Lorre, alias M le Maudit, du film de Fritz Lang). Ces respirations asthmatiques présentes par intermittences dans ce premier titre renvoient également les initiés à l'une des anciennes compositions de Norma Loy : "1964 Shadows".
Le rythme du disque se diffuse globalement en langueurs, privilégiant les atmosphères ; des mélodies simples et lentes se répètent en boucles afin de donner de l'espace aux détails et au chant. USHERsan et All von Phllox s'amusent dans leur collaboration, le deuxième saturant à merveille les propositions du premier. "Breath Play", passé sa lente introduction, ne cesse d'évoluer et de se déconstruire, reconstruire. De son côté, "Fallen Angel (Icarus)" renoue avec l'idée d'un Suicide gothique en mode romantique, lancé par quelques bribes en allemand ("Un extrait du film de Fassbinder L'Honneur perdu de Katharina Blum sur la RAF en RFA", précise USHERsan. Des nappes orientales baignent la prière foutrement sensuelle "(Queen) Ymaltzin (Veneration)" : nous sommes quelque part entre une Salammbô antique revisitée par Druillet et une déité lovecraftienne de l'ère numérique. Les gémissements et bégaiements de la voix masculine répondent aux parasitages de la musique. Tout l'album est une offrande : celle suscitée par la rencontre entre Usher et Ymaltzin, du premier échange lors de la "Pink full Moon" de 2017 à la construction d'une relation, culminant par une déclaration languide à deux voix : "Under your Will". Il est intéressant de noter que tous les textes (sauf "The Charge of...") et toutes les musiques sont signés cette fois USHERsan.
"Dog Training" porte en lui un contrepoint puissant : fondé sur une esthétique technophile, il laisse place à des écorchures et une voix lointaine qui lance ses "Regarde-moi" au cours d'une séance de domination entre la femme et son sujet.
Les trois-cents premiers exemplaires se voient adjoindre un single 45 tours (comme souvent chez le label [aufnahme + wiedergabe]) de deux titres bonus. "Unclean", reprise de Psychic TV (remixée ici par SARIN), s'ébat sur un rythme bondissant, répétitif et syncopé, complètement retravaillé (mais sans le bruitisme des cordes de l'originale). "Pink full Moon (Magick. Offering)" complète l'hommage avec une diction entre G.P.O. Et Dave-Id des Virgin Prunes (et Prunes) : la voix caresse en décalage sur le rythme lent.
Revenons au LP : la soumission est également servie par un titre bruitiste (« U209 (Submission) ») avant un final dantesque. Pour sûr, "The Charge of the dark Goddess" est ce qu'on attend d'un titre conclusif : la longueur de onze minutes permet une montée en puissance. Voix inversée menaçante, discours de présentation des pouvoirs porté par Ymaltzin (un poil trop calibré jeu de rôle, "un texte magique anonyme du XIXe siècle venant dire la Force Surnaturelle du Féminin et son rôle dans l'Ordre du Chaos" dixit encore Ushersan) tempéré par les percussions et la guitare acoustique. Le trio a tenté pas moins de soixante-dix versions du titre avant d'aboutir au résultat souhaité. L'arrivée des volutes donne au titre sa pleine dimension spirituelle, reléguant la diction à un paysage sonore hypnotique qui en fin de compte tient sa place et fait suite à "Egg Mantra". Black Egg est un projet qui tient sa trajectoire, se recentrant sur ce qui en fait le cœur alchimique.
