Bleib Modern réhabilite et esquisse les contours d'une néo new wave-rock sur ce cinquième album. La maîtrise des instruments qui sonnent vrais change totalement la donne par rapport aux sons cheap des années 1980 : la batterie claque, les notes de synthés scintillent. On regrette un positionnement en retrait des notes graves, justifié puisque la place est prise par la voix et les nappes de clavier. De même, les sons de guitares auraient gagné à briller davantage sur le démarrage de ce disque ("Traum Boy"). Le résultat semble cependant celui escompté puisque le travail réalisé par les désormais fidèles Philipp Läufer et Magnus Wichmann (production et mixage), complété par le mastering de Denis Wanic (Glaring, Suir, Venstar), donne à Bleib Modern une touche originale. Là où ils auraient risqué de sonner comme un groupe de plus (de trop ?) du revival goth / dark-rock, ils arpentent un espace plus large. "Everywhere I go" a bien cette ligne de basse ronde basée sur la répétition, mais c'est la batterie qui donne le ton, escortant une voix qui vole, là où d'autres nagent dans les marécages d'Eldritch et consorts.
Le parti-pris est risqué tant il est plus facile de se couler dans un moule, mais il permet d'entendre les respirations du chant (on n'est pas non plus dans le Matthew Bellamy !). Les évolutions d'intensité sont guidées par des ajouts presque rock industriel (Sin ou Y Front, davantage que Nine Inch Nails) et des arrangements ludiques. C'est presque un catalogue des effets les plus efficaces pour déployer et allonger un morceau tout en gardant mystère et dynamisme.
Avec plus de cinq minutes de variations sur ce même "Everywhere I go", on aura compris que ce n'est pas un tube que cherche le groupe. La batterie rappellera la manière de Laurence Tolhurst de The Cure pour sa frappe lourde, mais avec évidemment plus de déliés et d'aventures. Lorsque Bleib Modern choisit de sortir la basse de son placard, il distingue sa musique en venant dans des terres plus southern gothic ("Fremder Junge"). "Es geht Mir" évite aussi la démesure et le clinquant en alternant la basse avec une guitare quasi acoustique et des effets électroniques. Le résultat est un mid-tempo (coutumier chez Bleib Modern) sensuel et plein de détails. Avec "Feeling great", servi par un clip aux ralentis et à l'ambiance nocturne impressionnante, on a un single efficace, dans la lignée des meilleurs Editors. La jonction des deux langues apporte de la beauté. On les aime ainsi. On apprécie moins leur travers de crooner, trop visible ("T.W.T.I.A."), et le fatras de "To recover at All", dont la mélodie un peu simple est gâchée par un trop plein d'effets, comme pour densifier un propos mal calé au départ (n'est pas Deine Lakaien qui veut).
L'arrivée (donc) de la langue allemande (une première pour le groupe) va ancrer le propos dans une Histoire du rock noir d'outre-Rhin, tant on sait nos Germains friands de soutenir leur scène locale. On guettera donc l'évolution des vues de leurs clips et la liste des salles qui programmeront ce groupe, aujourd'hui en pleine possession de ses moyens.