Blut Aus Nord ne se trompent pas, c’est maintenant un théorème vérifié par la science, et quand une de leurs productions ne suscite pas les transports, c’est généralement en raison d’une brouille très épisodique avec les ambiances explorées à une occasion précise. Certains seront par exemple plus à l’écoute des dédales industriels où Vindsval et consorts replongent parfois depuis le superbe EP Thematic Emanation of Archetypal Multiplicity (2005). D’autres resteront viscéralement attachés au Blut Aus Nord mystico-arctique du cycle Memoria Vetusta (1996-2014). Tout le monde (oui, tout le monde) s’accordera à saluer la révolution qu’était The Work Which Transforms God (2003), monument de subversion et de recherche musicale.
La curieuse pochette d’Hallucinogen – toujours signée Dehn Sora – découvre de manière assez explicite une nouvelle étape de la diversification du groupe, qui n’avait pas encore trop fricoté avec les univers psychotropes. C’est désormais chose faite, et s’il était légitime d’avoir un peu peur du résultat, il n’aura pas fallu une écoute entière pour pulvériser les doutes. En grande partie, déjà, car on n’assiste pas à un complet ravalement de façade. Blut Aus Nord s’appuie pour enrober l’ouvrage sur un langage et des automatismes éprouvés, ceux de ses incarnations les plus atmosphériques : Memoria Vetusta II et III. En cela l’album a un côté rassurant. Mais, et c’est le plus important, l’assimilation de l’élément "intrus" captive par sa pertinence et sa fluidité. Bon, on ne va pas se mentir, la prise de risque est calculée, la part psyché au sens frontal se résumant à des motifs de guitare un peu désinvoltes avec un énorme effet de fuzz, disséminés à l’économie. Absolument pas de quoi choquer ni lasser. Non, tout l’intérêt de cet hommage aux 70’s, si l’on peut appeler ça comme ça, c’est qu’il est avalé dans une vaste convergence sonore, une osmose où les propriétés "chimiques" du trip hypnotique (légèreté de conscience, recalibrage des perceptions) s’invitent à l’esprit sans qu’il soit besoin de forcer le trait. Et l’on se rend compte que l’imaginaire psychédélique, à travers les ramifications spirituelles développées sur trois décennies, a en vérité toujours fait partie de Blut Aus Nord, et qu’on le savait déjà.
Bien qu’Hallucinogen, excluant la dissonance et limitant les vocaux hurlés, présente indéniablement le visage le plus "doux" de Blut Aus Nord, il reste incisif dans les formes. Il n’est absolument pas question de mièvrerie post-rock ni d’édulcorant "blackgaze", comme on dit de nos jours : on est sur des structures, certes peu angulaires, mais exigeantes, avec un millefeuille spacieux de nappes instrumentales, des rythmiques nourries (W.D. Feld, exemplaire de précision), et des morceaux qui transpercent le firmament à tombeaux ouverts. Intervenant à dessein comme des flambeaux guidant les âmes perdues vers leur destination, les chœurs prennent une coloration monastique, que le groupe a déjà explorée par le passé, jamais cependant avec une empreinte de dévotion aussi vive.
Tableau homogène dans la droite lignée de ce à quoi Blut Aus Nord nous a habitués, Hallucinogen n’est donc pas fondamentalement novateur, mais son équilibre parfait entre puissance de contemplation et puissance cinétique le préserve des accusations de redite. C’est surtout un disque beau et vibrant, à l’expression lyrique clairvoyante. Si l’on veut à tout prix poser un bémol, on trouvera le morceau de clôture, "Cosma Procyris", un peu moins inspiré, ce qui en contrepartie permet aussi de redescendre en douceur. De l’art de tout tourner à son avantage…