Yes ! Un disque de noise rock qui sait écouter l'auditeur et ne se contente pas du jeu parfois stérile du bruit pour le bruit en cercle fermé. Les jumelles Emmalia et Sarafina sont tournées vers l'écoute, ce que prouvent le premier et le dernier titre, une introduction et une conclusion où elles laissent leur grand-mère, Nonna Maria, s'épancher et délivrer son message du haut de ses quatre-vingt-treize ans ! C'est sous son égide que se révèlent les sept titres centraux, formant un premier album remarquable.
Contes crépusculaires, légendes noires. Les guitares rugissent parfois à la Birthday Party, raclent les sols et les murs, sans pour autant occulter les mélodies graves et sourdes. La voix, traitée dans le souffle, se fait charmante, hypnotise et réconforte ("Have you seen her") : on a quelque chose de primitif et de référencé dans les intentions : je pense notamment à Sonic Youth pour la manière de partager le propos entre volonté de dire et rugissements.
Sarafina est la chanteuse et batteuse ; l'accompagnement aux guitares triturées est le fait d'Emmalia. Dire que toutes deux se complètent est un euphémisme : la voix est capable de s'évanouir et la musique est alors toute entière portée dans ses retranchements et libérations cérémonielles. "Teeth", choisi comme single, ouvre la voie à la dualité de leur musique : une sorte de rock gothique bluesy et noisy. C'est délicat et vicieux comme la rape d'une langue de chat. Nul doute que la mamie italienne pourra y puiser elle aussi des émotions anciennes tout en découvrant le charme âpre de l'électricité (des passages presque black ou shoegaze dans cette manière d'établir des nappes).
Lorsque la volonté de faire un morceau plus classique se fait évidence, la musique se montre moins démonstrative et nimbe la voix de manière étonnamment professionnelle pour une première sortie : l'écoute de "Silence is a Killer" est l'un de ces bonheurs qu'on guette sur un troisième album, mettons des Yeah Yeah Yeahs ou de P.J. Harvey (le son de la guitare au début de "Lashes on Fire" éveille là aussi des connivences esthétiques). L'entendre ainsi arrangé, avec cette perfection méticuleuse - sans trop l'habiller mais en conservant ces semi-plaintes - révèle un talent et beaucoup de lucidité. Sur "Perfect Moment (a beautiful Reunion)", la voix se rapproche de celle de Siouxsie alors que le côté shoegaze se densifie. "Out at Sea" s'éloigne sur une frange plus extrême avec sept minutes de troubles et de vociférations free-punk : les cordes raclées, stridentes, les boucles disssonantes sont ici précieuses et narratives. Force et volupté : n'oublions pas l'origine italienne du bon café...
Les compositions sont équilibrées, sur le fil, tendant toujours les mains d'un côté vers le noir et le bruit, de l'autre vers une beauté dont les sœurs ne veulent pas se saisir. Qu'elles puissent faire un faux pas est intéressant : avec "Goodnight my Dear", on a une ritournelle aisément ingérable, et pourtant, le titre tient, malgré son format trop évident et assimilable : il est beau, racé, classique. Elles ont de la bouteille, je l'ai dit, et la biographie le confirme puisqu'elles jouent ensemble depuis qu'elles ont onze ans. Un temps, elles ont fréquenté et animé avec un groupe "punk" (Red Rosary) puis un autre plus indie les villes de Toronto et Montreal, bien connues pour leur faune militante et arty. Elles sont désormais basées à Guelph, dans l'Ontario, où elles ont imaginé et conçu cet album de rédemption familiale.