Si vous avez de Borghesia l'image d'un projet EBM, ce disque risque de vous surprendre. Très engagé, le groupe de Ljubljana a toujours été attiré par le fétichisme et la culture gay. En 1986, Dario Seraval et Aldo Ivančić s'enferment dans leur studio et commencent à improviser en s'inspirant de l'unique film de l'auteur Jean Genet, le sublime et onirique Un Chant d'Amour (1950), longtemps banni par la censure. Avec une boîte à rythmes Roland 707, un Casio CZ1000, un écho à bande et une table de mixage, ils produisent une musique anxiogène, enveloppante et indéniablement cinématographique, pouvant même rappeler les passages les plus expérimentaux des B.O. de John Carpenter.
Poème visuel, sensoriel et fantasmatique, Un chant d'amour a pour décor les barreaux d'une prison desquels les protagonistes s'échappent par le rêve, la masturbation et l'imagination. C'est plus cette idée d'une geôle dont on souhaite briser les murs que Borghesia semble avoir retenu. En 1984, un des premiers festivals de films gay et lesbien d'Europe avait lieu à Ljubljana et ce travail s'inscrit dans l'idée de faire valoir une culture et une histoire de l'homosexualité, en mettant en avant la beauté évocatrice du film.
Divisé en sept parties, le disque est dominé surtout par sa sixième plage : une plongée de vingt minutes dans un univers dissonant, funèbre et terrifiant. À base de boucles, de bandes inversées, de thèmes synthétiques répétitifs, de chœurs lugubres et de boîtes à rythmes lancinantes, l'ensemble pourra satisfaire les amateurs de climats cold-indus. On pense à Laibach, Die Form, The Grief et au son d'une certaine scène des années 1980 qui se propageait par les réseaux k7 (il reste d'ailleurs des saturations légères sur l'enregistrement malgré le nettoyage des bandes). Nourri d'images et d'ambiances, cet album retrouvé prouve surtout que Borghesia est une formation à redécouvrir d'urgence.