Le premier album, la carte de visite. À l’écoute de For To Have Time Is To Have Wings, nul doute : Candélabre, déjà, peut se targuer d’une identité forte et claire. Nous sommes le produit de nos influences, glissent en substance et au détour d’une conversation les artistes les plus transparents – et le champ sémantique de l’écriture du trio toulousain ne ment pas. Les sphères éthérées des années 1980 et 1990 se retrouvent dans les volutes de ce projet dont la première mouture date de 2017. Ce ciselage formule une ambition... et elle porte, dans sa capacité à faire éprouver ce plaisir singulier : celui qui va très au-delà de la sensation d’avoir affaire à un pastiche de choses déjà connues. Non, clairement, ce n’est pas ça.
Car si les climats du groupe ramènent inlassablement vers le souvenir de l’âge d’or de 4AD – ou du moins ce que nous considérons comme tel – ou encore de Creation Records (Cocteau Twins, Slowdive : références quasi-obligatoires et pour certaines directement revendiquées par le trio), Candélabre garde pour lui une intention ferme, et personnelle. Elle se traduit dans le physique plus tranchant et frontal de certaines rythmiques. Les affres du rock gothique ne sont alors plus très loin, mais Candélabre garde pour lui, aussi, cette touche féminine et d’apparence ingénue. Elle se trouve dans les vibrations enfantines de Cindy Sanchez, partenaire au sein de Lisieux d'un autre Candélabre, Michaël De Almeida. Dans le genre, pensez à Cranes ; mais Cindy a son truc à elle : plus frontale qu’Alison Shaw dans les lignes mélodiques, avec un sens de la boucle et un appui qui nourrit éventuellement la sévérité dramatique du flow, tout en lui offrant une grâce aérienne ("Men & Beasts").
Ses deux compères ne déméritent absolument pas : l’économie des phrasés de la paire De Almeida (basse, claviers, percussion) / Matthieu Serrano (guitares) inscrit Candélabre dans les élégances : les colorations des six-cordes, associées à une approche rythmique éventuellement à la Cure (on pense fort à "Bliss", l’un des morceaux les plus directement efficaces), créent un décorum typé. Son pouvoir est l’envoûtement, et là est peut-être la force principale de Candélabre. Elle imprime tout ce disque sans déchets, qui a préféré concentrer une essence sur sept morceaux plutôt que d’allonger une sauce au risque de l’affadir ou de la dénaturer. Les titres en travail qui n’entraient pas en résonance avec l’ensemble de ces sept choses, ont été gardés pour plus tard : un choix d’autant plus remarquable que certains contenus de For To Have Time Is To Have Wings datent de l’ancienne mouture de Candélabre. Il y a là, en filigrane, la volonté de concentrer une base. L’histoire du disque fait dire à Mathieu, dernier membre intégré et responsable des guitares, que le travail a consisté pour lui, sur la majorité des compositions, à se réapproprier les écritures déjà couchées, tout en posant sur elle le regard d'un arrangeur. Il faut bien donner son parfum final à un bouquet.
L’économie et le sens de l’essentiel, maîtres mots, ne réduisent pas pour autant le sens du format. Tout en campant sur le strict nécessaire, Candélabre peut dérouler de grands récits : la boucle dramatique qui noue l’imposant "Judith" offre une cinématographie finale de grande force. L’atmosphère est un enjeu de cette musique. Jusque dans le dénuement et l’orientation plus acoustique (les reflets neofolk / spleen pop de "Hearts Of Stone"), Candélabre dévoile une propension à la mélancolie traversée de fulgurances physiques : un mélange d’impulsions héroïques et d’intimes fragilités fait se mouvoir ce son, travaillé par la question du rapport au temps. Ce qu’il laisse alors derrière lui est comme une empreinte : quelque chose qui s’inscrit en vous, et le sentiment que ce disque pourrait vous accompagner longtemps. Ce à quoi, inutile peut-être de le dire, tous les premiers albums ne peuvent prétendre.
Et puis il y a cette cerise sur le gâteau : le mix, dans le désir de se rapprocher du son live, grave une authenticité de la démarche. Elle veut imprimer, jusque dans le détail plastique. C'est la finition : une exigence et, en somme, un certain état d’esprit.