Savoureux, frais et percutant. Un peu de B52's ("Synchronized"), un soupçon de Lucrate Milk, des réminiscences noise bancales à la Pregnant, un fond pop et une colère énergique qui finit par tout emporter... J'aime bien ces groupes qui trouvent facilement leur voix, en dynamitant les codes et les cases. Comment ces trois-là sonnent-ils si libres tandis que d'autres s'échinent à faire comme leurs modèles ? Il y a dans le trio Catalogue la même pulsation vitale et le sens de la mélodie festive ("Parallel Lines") que chez Elastica, un groupe dont se souviendront quelques nostalgiques éclairés ("Houseplant").
Eux revendiquent l'étiquette fourre-tout du post-punk. De même que leur nom Catalogue, c'est une piste qui égare quelque peu car les compositions restent dans une lignée plus alambiquée ("Ageing" ne cesse de changer de braquet), faites de stridences, d'aigreurs et de détails qui ont leur importance.
Certes, du rock noir, on en sent dès que Raphaël prend le chant ("Fragments") : sa voix grave et la mélodie portée au démarrage par une basse vont aguicher les néo-corbeaux. Les guitares plus noisy (mastering magnifique d'un spécialiste, Nicolas Dick, après les prises de son de Rudy Romeur) ramènent au temps heureux des premiers Sonic Youth et des débuts de l'écurie Prohibited Records. C'est fin, délicat et maniéré dans l'acidité. La rapidité d'installation et les jeux sonores appuyés par une basse assez délirante sont pourtant des points de force qui vont exploser la façade la plus gentille : l'écoute de "Suburban Girls" est un moment de grâce. "Casino" complète cette formule par une approche plus rock synthétique, admettant la force de la répétition violente et abrasive, méchante...
Voici leur troisième album, et force est de reconnaître que nous étions passés à côté des deux premiers, malgré des pochettes en escalier identifiables, réalisées par Emmanuel Lamotte – la première en 2019, pour High Grey Effective, m'avait fait penser à Wire et cette époque. Modern Delusion a été composé et enregistré pendant le confinement, en même temps que les Marseillais sortaient A Collection en 2022, vrai-faux deuxième album puisque compilant des travaux de 2013 à 2019.
Pourtant, avec Emma au chant (ex Human Toys) et Eric d'Electrolux, il y avait déjà matière à jouer la carte des réseaux de copains accumulés. De mon côté, c'est par hasard que je fais enfin le lien, une fois la chronique quasiment achevée, avec l'histoire du groupe. De cette année 2020, ils ont gardé cette étrange sensation d'être hors du temps, face à une apocalypse survenue trop tôt et à laquelle rien ne nous avait préparés. Une atemporalité marquée par "2030", chanté en français, qui aurait pu figurer sur une obscure compilation années 1980 au côté des Stinky Toys, n'eut été ce son si riche et organique. "La Croix", en revanche, bascule dans le punk morbide, porté encore par cette basse et ces claviers parcimonieux mais si utiles pour créer une notable différence avec la vague Oi Boys, Rancœur, Syndrome 81.
Toujours surprenant, cet album bien rempli de onze de titres garde homogénéité alors même que les arrangements virevoltent : la pop-rock électronique de "Houseplant" déménage et fait danser tandis que "At Night" convoque l'énergie rêche du rock garage et les explosions de rage dans le chant d'Emma. Histoire de brouiller les pistes, le groupe reprend pour finir le titre des Adolescents, "Kids of the Black Hole", en la raccourcissant de près d'une minute, sur un ton furibard qui pousse la voix parfois hors du champ. Brouiller les pistes ? Non, rien de méchant ou prémédité chez eux qui irait contre l'auditeur. Juste l'envie de ne pas s'enfermer dans un genre alors que les portes sont ouvertes.