Vingt ans après sa sortie, il est légitime que le label BOREDOMproduct fête l’anniversaire du premier album de Celluloide, groupe dans lequel officie le boss du label, Member U-0176 ainsi que Patrick Holdwem et la chanteuse Darkleti. Passé en partie inaperçu à sa sortie, mais devenu culte depuis, ce premier jet bénéficie aujourd’hui d’une réédition à la hauteur des enjeux qu’il se donnait.
C’est sans doute ce groupe qui, après Martin Dupont et le label Facteur d'Ambiance, nous aura de nouveau fait fantasmer un Marseille synthétique et cold, avant que le label ne fasse feu de tout bois et place plusieurs autres projets dans notre radar émotionnel. En dehors de cette minime considération historiciste, il est bon de noter notre étonnement en découvrant ces titres. En effet, deux versions de l’album existaient, l’une de "classic synth-pop" et l’autre confidentielle qui comprenaient des versions dites "experimental synth-pop". C’est vers ces versions plus surprenantes que notre chronique se tourne.
Les compositions sont davantage travaillées, bien loin de l’artificielle image de synth-pop ou body-pop qu’on a pu affubler au groupe. Si la délicatesse et la mélodie sont conservées, en revanche, ça fourmille de détails, et c’est loin des évidences sur le plan rythmique : "Someone like me" joue de la syncope et des temps secondaires marqués pour une mélodie douce-amère furieusement émouvante. "Blessed Charms" assume une partition exigeante, mettant en avant la voix de Darkleti (jeu de mots avec la chanteuse et actrice Arletty pour ceux qui n’auraient pas encore saisi l’allusion) sur un environnement sonore arty et découpé façon IDM. "Seven and forever" va plus loin, rejoignant les travaux de découpage de Trent Reznor avec ou en marge de la production de Nine Inch Nails. Pas d’aspect lisse ici, mais du brut, de la différence, une affirmation sur ce que peut être une musique à la fois populaire et avant-gardiste : si la voix porte les émotions, la musique ne peut se limiter à un rôle plastique d’emballage trié. Le résultat est moins homogène et plus nuancé, moins abordable et plus marquant, tant dans ses intentions que dans sa réalisation formelle. On se régale avec la longue marche évolutive de "In Contempt of common Sense", alambiquée et réussie, le Manifeste du disque – et sans doute du label !
N’allez pas croire cependant à un disque obscur et difficile d’accès, son succès dans l’underground des copies pirates et des téléchargements a affirmé son rayonnement, et puis "Missing Words" est toujours là pour donner un allant à la Depeche Mode. Les Anglais aussi, avant le virage plus bluesy, savaient cumuler cette recherche paradoxale du tube et de l’élitisme (malgré soi) qui irradie chacun des titres du Naive Heart de Celluloide. Et que dire de "The Paradox of the Mirror Girl" ? Il évoque les travaux des faces B réalisées par Siouxsie And The Banshees ; décalées, psychiatriques, libres de contraintes et d’influences. C’est l’un des titres qui annoncera la vague rétro-futuriste de la nouvelle musique progressive.
Poursuivant le travail fait pour les ressorties de Thee Hyphen, le label a exhumé quatre inédits de cette période, des versions alternatives destinées alors aux concerts du groupe. Profitant des évolutions technologiques, le son a été retravaillé et les voix d’origine réimplantés avec une netteté plus affirmée. Mis à part, ces quatre bonus forment l’EP Six Wounds, Seven Lies qui accompagne la version vinyle de la réédition de Naive Heart. J'avais cité la force de "Seven and Forever" dans la version expérimentale, force est de constater que la version longue distance de l'EP avec ses six minutes est également un morceau de maître...
Le label a fait son travail, proposant une sortie remasterisée en vinyle du premier album, ajoutant des goodies (l'EP est lui aussi en deux versions, CD et vinyle) et mettant en valeur les facettes multiples du groupe Celluloide, dès sa naissance. Aux auditeurs, désormais, de faire le leur.