Déjà annoncé par plusieurs singles/clips, le nouvel album de Chelsea Wolfe est bien à la hauteur des attentes. L’artiste parle de "renaissance" et de "catharsis". Il faut dire que le précédent Birth Of Violence date déjà de 2019, même si Chelsea Wolfe a été très active depuis, notamment de par ses nombreuses collaborations, que ce soit avec Tyler Bates pour la BO du film X, avec Xiu Xiu pour une reprise bien torturée du "One Hundred Years" de The Cure, avec Emma Ruth Rundle pour le titre "Anhedonia" ou pour l’album Bloodmoon:I avec Converge.
Il y a toujours eu beaucoup de recherche sonore et d’expérimentations dans ses disques mais ce dernier, de par sa production luxueuse, opulente et minutieuse, renvoie clairement à Pain Is Beauty (2013), sûrement une de ses œuvres les plus remarquables. Et on peut dire que Chelsea Wolfe, s’affranchissant des barrières des genres, a créé un style à lui propre et immédiatement reconnaissable. C’est cette liberté qui pourrait la rapprocher d’une PJ Harvey, même si leurs univers demeurent très éloignés.
She Reaches Out To She Reaches Out To She met l’accent sur l’électronique, qu’elle soit glitch, breakbeat, ambient, industrielle ou même psychédélique. Le collage joue une part importante, et on comprend bien que les chansons ont été disséquées, auscultées et restructurées à la post-production. Les textures, sensuelles et contrastées, apportent beaucoup de couleurs à cet album qui aurait été inspiré aussi par un sevrage et un passage à la sobriété pour l’artiste.
On ressent beaucoup d’ouverture ici (il suffit d’écouter les mélopées orientales de "Unseen World"). Ce qui pourrait dominer serait cette banque de samples, découpés, inversés, superposés, avec souvent des motifs de piano qui reviennent et des rythmiques proches du trip-hop, le tout surnagé par de nombreuses voix, qui planent et virevoltent, totalement célestes et hors d’atteinte. Elles participent grandement à la fièvre qui émane de ce disque et semblent parfois nous susurrer à l’oreille. On pourra y trouver des réminiscences des vocalises de Cocteau Twins, de Portishead et de la veine éthérée développée par 4AD au milieu des années 1980. Les guitares lourdes du passé ne sont pourtant pas évacuées, à la limite du hardcore ("House of Self-undoing") ou du metal (le final de "Whispers in the Echo Chamber"), mais cela ne perturbe jamais ce chant haut perché et vaporeux.
Accompagnée du multi-instrumentiste Ben Chisholm, du guitariste Bryan Tulao, du batteur Jess Gowrie, et servie par la production de Dave Sitek et le mixage de Shawn Everett, Chelsea Wolfe nous livre un album foisonnant et halluciné, qui se bonifie à chaque écoute. Elle arrive à trouver un équilibre peu évident entre la richesse mélodique des voix et des soundscapes aventureux, assez cinématographiques par moments (on vous conseille de vous plonger dans les quatre clips déjà parus pour vous en rendre compte), ce qui en fait un disque remarquable. Et qui pourra toucher un public s’étendant bien au-delà des arts noirs et apocalyptiques.