Vous aurez, aujourd’hui comme hier, peu de chances de réconcilier les adeptes les plus fermes du (fabuleux) Christian Death originel avec le travail assuré par Valor Kand après le départ du fondateur et feu Rozz Williams, survenu au milieu des années 1980. Mais le fait demeure. Valor, quoique assailli de reproches par le clan die-hard, a continué à porter le flambeau à partir d’Atrocities (1986), en opposition éventuelle avec le père de la marque : une opposition culminant dans les années 1990 avec la présence sur le marché de deux Christian Death différents. Rozz était alors revenu avec d’autres musiciens, et les disques avaient été sacrément bons (l’ambiancé The Path Of Sorrow et le death rock rageur et bowiesque de The Rage Of Angels).
Depuis Sexy Death God (1994), Valor, lui, a fait entrer "son" Christian Death dans une ère marquée par le binôme qu’il forme avec sa compagne Maitri Nicolai. Ère nouvelle, et toujours d’actualité. Résultats aléatoires en qualité, mais l’arbre a pu donner des fruits. Les plus fermes datent, en ce qui nous concerne, de 1994 et, plus récemment, de 2007 avec American Inquisition.
Au même titre que le cru 2007, Evil Becomes Rule s’avère digne d’intérêt. Amère, volontiers ténébreuse, organique, la musique du groupe porte en 2022 des ambitions de forme (le violon de Valor, doux épice) et quelques velléités expérimentales. Il y a le baroque horrifié du titre éponyme. Il y a aussi le travail de la percussion, laquelle présente un intérêt particulier : Pao a pris la main sur les fûts et avec son nouveau batteur, Christian Death se fait plus… exotique. Effluves ethniques (le conclusif "Who am I Part 2") et pulsions aventureuses. Mais Maitri et Valor recherchent aussi une efficacité, ce qui frappe l’album de quelques taches de couleur identitaires ("Blood Moon").
Parmi les points forts du cru 2022, il y a aussi les guitares. Leur recherche est plus subtile et moins metal que ce que le groupe tenta de faire, pour fortunes diverses, sur la fin des années 1990. Si Prophecies (1996) ou Born Again Anti Christian (2000) laissent aujourd’hui encore un goût d’errance, il n’en va pas de même cette année. En réintroduisant certains canons, Christian Death réinvente son allure : l’acidité typique des six-cordes de Valor fait montre de stylisation plus que d’épaisseurs. En témoigne – mais ce n’est pas le seul – un titre comme "Elegant Sleeping". Ici, Maitri chante (ce qui change la formule) mais vous retrouverez ces crissement de guitare typiquement eighties et remémorant l’esprit des morceaux élancés d'un Catastrophe Ballet. Quant aux saturations, elles sont là mais n’écrasent pas le spectre sonore. Christian Death préfère – pour notre bonheur – conserver quelque élégance. Exit donc les consistances métalliques (et un peu moins la tentation démonstrative) que nous ne prisions guère sur la fin des 90’s : une inventivité certaine et une recherche de climat prennent le pas. Signature restaurée, mais inventivité dans le sound design ("The Alpha & The Omega").
À divers titres, Evil Becomes Rule intéressera à défaut d’égaler en qualité d’écriture, de style et d’ambiance un Atrocities (1986), pièce maîtresse pour nous de la période de direction artistique assurée par Valor. La force ténébreuse de certains refrains ("Rise and shine" fait mouche), la volonté d’enrichir le son par le recours à des compétences extérieures (KWA-B au chant sur "Who Am I (Part 2)", Chuck Lenihan de Chains à la guitare lead sur "The Warning") mais aussi les effets dramatiques et pénétrants de la voix de Kand, donnent à l’essai une consistance que tous les disques de Christian Death n’ont pas eue sur les quarante dernières années. En 2022, ce n’est pas sans honneur que s’en tire ce gothique américain.
