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Ténèbres, puits sans fond. Obsküre plonge, fouine, investigue, gratte et remonte tout ce qu’il peut à la surface

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Interview
09/07/2024

Christian Death

"Sur scène, Maitri et moi-même sommes les deux moitiés d’un même ensemble, comme le yin et le yang, l’union de deux opposés" (Valor)

Genre : death rock / gothic rock / dark rock
Contexte : concert de Christian Death à La Boule Noire (Paris) le 01/06/2024
Photographies : Mariexxme | www.facebook.com/flyonthewallmariexxme
Posté par : Töny Leduc-Gugnalons

Deux ans après la sortie du très bon Evil Becomes Rule, qui renouait quelque peu avec un son death rock, Christian Death est revenu sur notre vieux continent pour assurer son Armageddon Tour, périple de dix-sept dates ayant permis au groupe d’investir, pour une unique date française, La Boule Noire en juin dernier… À cette occasion nous avons rencontré Valor, l’une des figures les plus emblématiques et aussi – il faut bien le reconnaître – les plus clivantes du rock gothique, pour un entretien souvent… déroutant.


Obsküre : "Rise and Shine", l’un de mes morceaux préférés sur Evil Becomes Rule est vraiment symptomatique de notre monde actuel… C’est à la fois un appel à l’unité, seul espoir pour sauver notre monde ("We will rise through the smoke") mais aussi un terrible constat qui envisage l’extinction de l’espèce ("One solution, sterilization")… Cette chanson a été écrite il y a quelques années maintenant. Quel est ton point de vue actuel sur la situation, considérant que la balance continue à pencher du mauvais côté ? Y a-t-il toujours un espoir ?
Valor : J’avoue me montrer beaucoup plus optimiste que je ne l’étais avant la pandémie. Avant la COVID, je m’attendais à un écroulement du système politique ou à quelque désastre écologique. Quand j’ai écrit cette chanson, j’entendais parler de tous ces travers et de la corruption généralisée depuis une vingtaine d’années, au moins, et j’ai eu une vision que j’ai voulu retranscrire fidèlement et de manière artistique par le biais de cette chanson, mais aussi en tant qu’être humain pleinement concerné par ce qui se passe dans le monde. Toutes les paroles des chansons de cet album ont été écrites avant la pandémie ; elles étaient prêtes dès février 2020, pour tout dire, et ce que nous savons est arrivé… Nous étions censés entrer en studio et enregistrer l’album en Californie au mois de juin mais, pour les raisons que tu imagines, nous n’avons pu le faire que bien plus tard en 2021… Quand nous nous sommes retrouvés face à la pandémie, j’ai commencé à me questionner sur les raisons d’un tel désastre : était-ce le simple fait des hommes ? L’apparition de ce virus était-elle une création humaine qui avait pour but d’éradiquer une partie significative de notre espèce ? Je pensais que toutes les plus grandes puissances, à la fois politiques et économiques – Bill Gates et consorts –, avaient délibérément mis au point un tel virus pour réduire la population mondiale… Il n’existe, en fait, que deux possibilités pour réduire cette population : arrêter de mettre au monde des enfants et tuer les gens… et, selon moi, on assiste aujourd’hui aux deux phénomènes. Cette idée m’a terrifié au départ… Je pense que ce virus était aussi un test expérimental pour montrer combien nos responsables étaient capables de semer la terreur à travers la population, même si, en définitive, il n’a pas provoqué autant de morts qu’escompté… (NDLR : Les suppositions, opinions ou idées émises par les personnes interviewées par Obsküre sont retranscrites avec respect, mais n’engagent pas la rédaction.)
Mon optimisme actuel vient ainsi de cette prise de conscience générale qui tend à inverser la tendance. J’ai passé beaucoup de temps à absorber un maximum d’informations sur Internet à propos de tout ce qui se passait dans le monde et je vois bien cet élan global qui fait face à tous ces pouvoirs corrompus et qui tente d’échapper à cette espèce de pieuvre géante qui consume absolument tout autour d’elle… Si c’est dans la nature des hommes politiques d’être corrompus et de dispenser le mal, les peuples portent en eux ces valeurs salutaires qu’ils souhaitent dorénavant imposer aux pouvoirs politiques et religieux qui sont en place… Je constate que le contrôle sur les populations, cette propagande, est plus que jamais présente et qu’elle tend à régenter nos vies, bien souvent, par le biais des technologies – internet et les réseaux sociaux. Mais, en même temps, les jeunes ont un accès plus aisé et quasi-immédiat à l’information, contrairement à nous qui devions, au même âge, fréquenter les bibliothèques, et ce facteur est naturellement fondamental pour former les esprits.

"Beautiful" apparaît non seulement comme le morceau emblématique de cet album mais aussi comme un moment de grâce dans la composition. Peux-tu m’en dire plus sur la création de ce morceau, et question dans la question : dans l’art, la beauté ultime naît-elle toujours de l’expérience malheureuse de la mort ?
La vie n’est qu’une question de perspective… Cette expérience de la lumière éblouissante du soleil n’est accessible qu’à la condition de ne pas craindre l’obscurité, la nuit et les ombres… C’est semblable à cette allégorie de la caverne de Platon : le feu à l’extérieur te permet de ne voir que les ombres projetées sur les murs de la caverne. Ton interprétation de ce qu’est la réalité ne correspond pas vraiment à la réalité… En fait, cette allégorie fait écho à ce que sont le téléphone et la télévision parce que nous y voyons une vision altérée de la réalité, nous ne voyons ni l’extérieur de la caverne ni les gens danser autour du feu mais seulement des ombres… C’est précisément ce qui est à l’origine du concept inhérent à la création de "Beautiful" et j’ai tenté d’y apporter tout mon talent d’orchestration pour la rendre d’autant plus belle.

Si l’humanité parvient finalement à se sauver, que peut-on attendre de Christian Death dans les mois à venir ? La composition d’un nouvel album ?
De la manière dont les choses se mettent en place aujourd’hui, il semblerait que l’enregistrement d’un nouvel album ne soit pas une étape naturelle dans la vie d’un groupe car le système fonctionne à l’envers… La façon dont j’opère, c’est : créer des chansons qui s’inscrivent dans un album et le sortir… mais les choses sont clairement différentes actuellement. En fait, cela fonctionne un peu comme dans les années 1950-1960… Les artistes produisent des singles et quand ils en ont accumulé suffisamment, ils les rassemblent pour en faire un album… J’aime créer des chansons mais je ne peux décemment pas attendre deux ou trois ans pour sortir un nouvel album.

Cela signifie-t-il qu’il n’existe plus de concept à l’origine de tes albums ?
Non, il y a toujours un concept qui prédomine et ce dernier est très simple : nous regardons le monde et traduisons ce que nous voyons, et si le monde change, le concept change de lui-même… Comme je te l’ai dit, Evil Becomes Rule demeure une vision du futur tandis que The Root Of All Evilution exprimait  davantage des leçons de vie héritées des temps anciens. Le futur va changer et, espérons-le, pour le meilleur… En conséquence, nous ferons effectivement un album – certaines chansons sont d’ailleurs quasiment terminées – que nous prévoyons de sortir probablement l’année prochaine.

J’adore la chanson "Forgiven", présente sur l’album The Root Of All Evilution, mais je ne parviens pas à en percer véritablement le sens… Par certains côtés, elle m’apparaît comme une chanson féministe. Te sens-tu proches des récents mouvements relatifs aux combats des femmes ?
J’ai toujours été fasciné par le concept relatif au "corps des femmes". Sur scène, Maitri et moi-même  sommes les deux moitiés d’un même ensemble, comme le yin et le yang, l’union de deux opposés… Je dois admettre que je suis terrifié par l’Islam – pas par les croyants en soi que je respecte – mais par l’idéologie sociétale qu’il véhicule et la direction que cette religion veut donner à la société, et qui la conduirait dans un véritable obscurantisme… (NDLR : Valor s'est à de maintes reprises exprimé de façon critique sur le phénomène religieux, très au-delà du seul Islam). Les femmes représentent la moitié de l’humanité et, à ce titre, elles ont clairement autant de droits que les hommes... Tu ne peux pas créer un enfant sans le concours d’un homme et d’une femme, c’est un fait… Alors, bien sûr, la libération des mœurs et les diverses orientations sexuelles sont une chose formidable que je ne remettrai jamais en cause, mais cela apporte aussi son lot de confusions dans la société qui contribuent à nourrir ce clivage social délétère et qui relèvent parfois de la propagande… En ce qui me concerne, on ne fera jamais accepter le fait qu’un coq puisse pondre un œuf…  En définitive, "Forgiven" est assurément une voix qui est donnée aux femmes pour s’élever dans cette société.

De nombreux morceaux comme "Window Pain", "The Death of Josef", "Kingdom Of The Solemn Kiss" et d’autres, font apparaître une dimension cinématographique importante… Tous ces morceaux pourraient être la bande son de films imaginaires… et il ne fait aucun doute que tu as un vrai talent pour poser les ambiances. N’as-tu jamais eu cette volonté de faire un album entier qui aille dans ce sens ?
Mon plus grand souhait, à cet instant, n’est peut-être pas de faire un album mais de créer des bandes-son dans la lignée de Danny Elfman ou Hans Zimmer… Du jour où j’ai compris comment composer avec un orchestre entier (NDLR : l’un des essais les plus conséquents du genre, chez Valor, est la collection Insanus, Ultio, Protio, Miséricordiaque, de 1990) et que j’étais capable d’écrire des instrumentaux, j’ai toujours eu cette volonté de créer dans ce sens… À ce propos, je me rappelle que nous avons eu, avec Christian Death, un orchestre de chambre composé de quatre musiciens avec lesquels nous voyagions ; quel plaisir c’était de me tenir devant eux et de les diriger, tout en faisant autre chose… En fait, je suis comme tout le monde : j’aime les arts visuels, la télévision, les films, j’aime absorber ce que les autres artistes font en général et surtout, j’aime créer. Mais le problème fondamental reste… l’argent (rire) ! J’ai rencontré de nombreux artistes connus dans tous ces domaines mais j’attends encore qu’on me sollicite pour composer la musique d’un film…

Voilà 40 ans que tu œuvres au sein de Christian Death. Quel est, selon toi, le secret de longévité du groupe ? C’est si rare quand un groupe passe ce cap sans avoir jamais arrêté ses activités… Quels sont les facteurs qui rendent tout cela possible ?
C’est avant tout le besoin de créer… Au tout début, il y a eu Pompeii 99, et Christian Death n’est rien d’autre que son prolongement (NDLR : angle de vue de celui qui, venu de l’extérieur, a alimenté l’entité Christian Death existante de manière continue par la suite. Valor a intégré à la demande de Rozz Williams le projet que ce dernier avait créé en 1979, le premier album ayant impliqué Valor étant Catastrophe Ballet, en 1984. L'arrivée de Valor et d'autres mebres de Pompeii 99 dans Christian Death a entraîné l'arrêt de la production sour le nom de de Pompeii 99, et Valor est pleinement devenu le directeur artistique après le départ de Rozz avec un line-up modifié et le très bel opus studio Atrocities, en 1986). Ces deux groupes sont, selon moi, tout à fait uniques dans l’histoire de la musique… L’alliance de ces deux entités a créé une nouvelle créature qui continue à se développer en étendant ses tentacules, et ce développement est sans fin… Aujourd’hui, je parlais avec quelqu’un et nous nous disions combien nous aimions la vie, et tout ce que nous aimerions faire, que nous n’étions pas des putains de robots mais que nous avions encore tant de choses à expérimenter ici-bas… Nous aimons la vie, c’est un fait incontestable… Les gens me rappellent combien nous jouons une musique sombre, que Rozz lui-même s’est suicidé et que d’autres membres du groupe ont dû faire face à de nombreux problèmes… mais, en réalité, nous aimons trop la vie et tout ce que je désire, c’est créer. J’aime cuisiner, voyager, prendre l’avion, j’aime me faire des amis, être là assis à parler avec toi dans cet endroit absolument génial et prendre du plaisir. J’aime tout, en réalité… même si, en ce moment, je ne dors que trois heures par nuit (rire)…

Un morceau comme "Ten Thousand Hundred Times" a eu un tel impact sur l’adolescent que j’étais à la fin des années 1980 que Christian Death, à de nombreux égards, est devenu très rapidement le groupe de ma vie… J’imagine que je ne suis pas le seul à être entré en Christian Death comme on entre en religion – ce qui est naturellement paradoxal quand on connaît ton rapport à l’institution religieuse… Quels sont les éléments caractéristiques de l’identité du groupe qui peuvent engendrer cette fascination pour Christian Death ?
La religion fonctionne parce que les gens ont besoin de croire en quelque chose. Ils ont besoin d’espoir pour répondre positivement à l’inconnu… mais certaines personnes, malheureusement, ont des ornières qui les forcent à ne voir la vie que d’une manière fort étroite. Elles n’appréhendent pas le monde dans sa globalité, dans ce qu’il a justement de positif. Cet état d’esprit les amène à ne concevoir que les aspects négatifs du monde qui les entoure, et les conduit naturellement dans le gouffre ; c’est la raison pour laquelle Rozz, comme d’autres, en sont arrivés à de telles extrémités… Elles ont été dans l’incapacité d’absorber le positif qui nourrit l’espoir… Et la religion donne précisément aux gens cette force de croire – pas nécessairement en un dieu d’ailleurs – et d’adhérer philosophiquement à une certaine vision du monde… Et c’est sans doute ce qui explique ton propre rapport à Christian Death… Chacun doit trouver en soi ce que nous appelons communément "dieu"… Je crois personnellement en Dieu – pas sous les traits d’un être, cela va de soi – mais je pense qu’il existe cette énergie positive dans l’univers qui demeure absolument indescriptible et qui est, à chaque nouvelle génération, redéfinie… Les interprétations de ce phénomène sont innombrables… Je pense donc que Christian Death a simplement aidé certaines personnes qui se sont senties perdues dans ce monde à trouver leur chemin et à faire sienne une partie de cette jungle, dans le chaos de ce monde… Chacun doit trouver son propre chemin et se donner la force d’accomplir cette mission, de distinguer ce qui est réel de ce qui ne l’est pas… de répondre à des questions telles que : "Si je saute de cette falaise, vais-je mourir ? » ou « Vais-je aller au Paradis si je sors et tue de nombreux infidèles en devenant un meurtrier, en abusant des femmes ? Dieu va-t-il me faire une place au paradis ?"

Votre premier label – L’Invitation Au Suicide – était français. Season Of Mist l’est également… De nombreuses chansons sont aussi parsemées d’expressions et de mots français… Quel rapport entretiens-tu avec notre pays ?
Tu sais, notre premier concert européen de Christian Death avec Rozz s’est déroulé aux Bains Douches en février 1984 et ce fut une expérience absolument étonnante… C’était un petit club bondé et, alors que nous marchions vers la scène, je crois que nous avons découvert notre propre conception de Dieu (rire)…

Tu veux dire que Dieu est Français ? (rire)
C’est une évidence (rire)… Dieu est une force positive. On dit que Dieu est le créateur parce que l’acte créatif est bon… C’est la création qui engendre cette positivité : l’art est créatif, la musique est créative, et c’est aussi un acte de communication en soi...

Pour la postérité, je te demande de sauver un seul morceau de Christian Death… Lequel ? Et pour quelles raisons ?
À ce point précis de notre histoire, je ne peux vraiment pas revenir sur les dix-sept albums que nous avons composés… Je choisirais donc sans doute un morceau du dernier opus… Mais c’est une question à laquelle je ne peux pas répondre, en réalité… C’est comme si tu me demandais lequel de mes enfants j’aime avec le plus d’affection…

Mais si tu étais vraiment honnête, tu avouerais aimer l’un de ces enfants plus que les autres (rire) !
Tu sais, j’ai beaucoup d’enfants et je les aime vraiment tous au plus profond de mon être (rire)… C’est comme voyager en France, en Angleterre ou ailleurs… Chaque lieu a des caractéristiques qui lui sont propres et que j’aime… De la même manière, chaque chanson a ses propres qualités… et je sens bien que je ne pourrais pas vivre sans la présence de chacune d’entre elles…