Deuxième volet d'une trilogie entamée avec L'Homme-Canon l'année dernière, Carnum mêle également humour et anticipation, tout en s'inspirant des formes théâtrales, notamment le sens des décors et didascalies, et d'un absurde à la Beckett. Il nous offre surtout un regard implacable sur le monde contemporain derrière la jubilation comique. Le précédent roman nous contait l'histoire d'un homme attendant un train de marchandises dans une petite ville où ce genre de trains ne passent jamais dans l'espoir de monter un spectacle où il deviendrait "homme-canon". Sa présence même va semer le bazar dans un monde post-Covid où tout le monde doit rembourser la dette gouvernementale. Carpentier y déployait son talent pour les dialogues et s'en donne encore à cœur joie avec ce nouvel opus.
Carnum commence d'ailleurs par une conversation entre Jérôme Mareuil et son ex-femme Elisabeth. Durant leurs dix ans de vie commune, Jérôme s'est retrouvé à la tête d'un empire routier mais cette richesse, ces appartements, ne comblent pas son sentiment que tout cela est vain. Un jour, une chirurgienne, Edwige Müller, frappe à sa porte et cette rencontre va redonner du sens à sa vie. Ensemble, ils décident de promouvoir un cannibalisme planétaire librement consenti. Leur projet marchand nommé Anthropo Food va tout de même se confronter à deux gros problèmes : il est plus facile de trouver des Donneurs que des Mangeurs, et la viande humaine crée une addiction telle celle des accros aux drogues dures. Pour ne pas rester les deux seuls consommateurs, ils font appel à Elisabeth, vite soumise à la cause, pour qu'elle recrute des toxicos bourgeois. Satire de la société de consommation, dans la lignée de Soleil Vert, les pauvres se font manger par les riches jusqu'à ce que le chaos se propage, les marchés parallèles, les autophages (qui comprennent Poutine!), les morts par intoxication alimentaire et une nouvelle pornographie de la blessure, sûrement inspirée par le Crimes Of The Future de Cronenberg.
Comme L'Homme-Canon, l'évolution narrative est imprévisible, condensée et drôle. On regrette que les romans se lisent si vite et soient si courts tant on ressent un plaisir de lecture. Cette frustration est cela dit rattrapée par cet univers génial et ces dialogues accrocheurs. Carpentier adapte la fiction spéculative aux années 2020 et propose des sortes de pièces de théâtre de SF que l'on imaginerait bien prendre vie sur une scène. L'auteur sera d'ailleurs présent aux Utopiales de Nantes qui se tiendront du 29 octobre au 1er novembre.