Intérieur nuit. Musique de la part intime, écouter le ventre. Le disque porte son titre, à divers sens du terme. Deux ans après _io (successeur lui-même de Reaching For Indigo, 2017), Haley Fohr (Jackie Lynn) signe une nouvelle collection climatique et enténébrée. Tout le travail sur Halo On The Inside s’est déroulé chez elle : écriture, enregistrement. Les sessions se déroulaient la nuit.
Le disque, dans ses formes finales, fait écho au contexte qui a présidé à son existence. Flottez dans l’abîme. Beat économe et oppressif, sons de synthèse pour l’enveloppe, voix aux vibrations opératiques : ces chansons créent une tension paradoxale, dans cette manière, ce glamour au noir que distillent des gens comme Antony & The Johnsons, Scott Walker ou Kirin J. Callinan. Chez Chelsea Wolfe, il y cette façon, proche, d’installer un climat par texturation, œuvre de ces couches synthétiques qui volent aux guitares le grain de leur overdrive ("Anthem of me" : un abandon, une perte de soi). Mais les choses ne sont pas faites dans un esprit de démonstration ici, la seule épreuve qui compte est celle du ressenti.
Sa force émotionnelle donne sa magie du disque, sa puissance. Un rideau s’ouvre. Combien de musiques de synthèse nous laissent pantois d’admiration devant une plastique sans jamais nous emporter vraiment ? Ici, les phrasés musicaux déploient une étrangeté en même temps qu’elles laissent entrapercevoir une chair ("Truth", ses boucles qui vous enferrent dans cette vérité que seule votre imagination produit). Pas de démonstration non, seul un dévoilement. Haley, capable de couvrir quatre octaves, reste dans une retenue mais vous le sentez : elle a de la réserve.
Dans ce qui travaille cette voix, dans le vécu, vous pourriez avoir le sentiment, par moments, d’assister en direct à quelques secondes de cette transformation qui nous anime tous de manière permanente et sans que nous la mesurions, ce "devenir" à l’échelle d’une vie ou d’une étape clef. La cartographie du temps vécu n’a pas les lignes toujours franches mais à l’écoute de ce disque, l'impression vous gagnera peut-être que nous assistons à un moment clef. Transformation, disions-nous ? Mais laquelle ? La sienne ? La nôtre ? Les voix de Haley emplissent l’espace et vous êtes pris(e) dans leurs filets ("Cathexis"), il y a une alchimie dans le son. Et lorsqu’affleurent les guitares, c’est pour de l’ornementation, une élégance organique, un climax (une technicité mise à l’œuvre pour le crescendo/outro de "Skeleton Key"). Tous les moyens seront bons pour entretenir une esthétique des affres, et les cuivres apporteront une chaleur dans des espaces subaquatiques ("Organ Bed").
Tréfonds de la psyché. Le cœur des choses est un domaine infranchissable, mais le son nous rapproche peut-être de lui. Au sortir de l’écoute, il reste une impression de bloc : la bulle de son aux reflets de noir est pétrie par ce vécu que les textes imagent mais ne disent jamais ouvertement. Insondable mystère que celui de la présence à soi. Halo On The Inside : un chemin à trouver, une exploration. Se comprend-on, se trouve-t-on jamais vraiment ? Saisit-on jamais ce qui est en train de nous arriver ?