Terrifiant. C’est le terme qui paraît le plus approprié pour qualifier le nouvel album de Clipping. Dès l’introduction, Visions Of Bodies Being Burned nous plonge dans une ambiance sinistre et oppressante qui s’étire sur toute la durée du disque. Il constitue le deuxième volet d’un diptyque, dont la première partie - There Is An Addiction To Blood – est sortie l’an dernier, portée par l’excellent single "Nothing is safe". Les pochettes des deux albums sont d’ailleurs complémentaires. Les Américains de Clipping. poursuivent donc leur odyssée horrorcore, un genre qui a véritablement explosé dans les années 1990, notamment sous l’impulsion de Gravediggaz avec le désormais classique 6 Feet Deep, ou encore de groupes comme Flatlinerz et Three-6 Mafia.
L’album est marqué par la thématique des films d’horreur. Sur le très bon premier single "Say the Name", il est ainsi fait référence à la série de films d’horreur des années 1990 Candyman dans laquelle le tueur au crochet apparaît dès que l’on prononce son nom cinq fois devant un miroir. On notera aussi que l’unique phrase du refrain, "Candlesticks in the dark, visions of bodies being burned", répétée en boucle est tirée du titre "Mind Playing Tricks on me" des Geto Boys. Le titre "’96 Neve Campbell" est, quant à lui, un clin d’œil à l’actrice de Scream dont le personnage - Sidney Prescott - parvient à se défaire (à de multiples reprises !) des tueurs. Une référence à la scène d’ouverture culte du film se glisse même dans les paroles "Do you like scary movies, what’s your favorite ?"... On peut également citer "Eaten Alive" basé sur le film du même nom réalisé par Tobe Hooper en 1976 (sorti sous le titre Le Crocodile De La Mort en France), sur lequel le groupe est accompagné par Jeff Parker, le guitariste de Tortoise et par le batteur Ted Byrnes.
Ponctué d’interludes qui s’intègrent parfaitement bien à l’album, Visions Of Bodies Being Burned est aussi marqué par le côté assez dépouillé de certains morceaux, souvent accompagnés de bruits de fond venant accroître le côté inquiétant du disque, comme par exemple sur le titre "She Bad". "Make them dead" présente aussi ce côté minimaliste sur les couplets, contrebalancé par l’ajout de chœurs quasi mystiques sur le refrain. L’album possède également un aspect assez expérimental, que l’on retrouve notamment sur "Eaten Alive" et sur "Body for the Pile" pour lequel le groupe a fait appel à Chris Goudreau aka Sickness.
L’un des moments culminants de l’album est sans aucun doute "Pain Everyday" : le groupe y a utilisé des enregistrements d’EVP (pour Electronic Voice Phenomenon), c'est-à-dire des sons enregistrés sur lesquels on pourrait entendre des voix d’esprits. Ils sont d’ailleurs assistés par Michael Esposito sur ce titre, un artiste expérimental qui est aussi chercheur en phénomènes de voix électroniques. Avec une montée en intensité progressive et des changements de rythmes implacables, "Pain Everyday" se termine en apothéose sur un final sublime.
Dense et complexe, Visions Of Bodies Being Burned se révèle pourtant addictif dès la première écoute et confirme tout le talent du trio américain et notamment du rappeur Daveed Diggs, tout autant capable de dégainer un flow à toute allure sur "Something Underneath" que de créer une ambiance plus éthérée sur "Enlacing". Visions Of Bodies Being Burned réalise l’exploit de surclasser There Is An Addiction To Blood, le premier opus, pourtant déjà très bon. Clipping. signe un album qui a déjà des allures de classique et parvient à transcender les genres pour donner naissance à l’une des œuvres les plus abouties de l’année.