La mélancolie est un sentiment doux et entêtant, omniprésent et souterrain, lent et monotone. Elle prend l’être en douceur, puis l’envahit, l’air de rien. L’écoute d’un album de Collection d’Arnell-Andréa fonctionne de la même manière, et sans doute est-ce là le parti-pris esthétique du groupe : sa musique se distille dans l’atmosphère jusqu’à nous emporter dans des contrées à la fois effroyables et délicieuses. Mais cette douce ritournelle comporte un risque : elle peut finir par paraître trop monocorde, et c’est ce que l’on pourrait reprocher à l’album Vernes-Monde paru en 2010. L’ennui guettait faute de pic d’intensité. Les compositions agréables s’enchaînaient sans toutefois retenir l’attention, sans jamais subjuguer, sans jamais livrer de rupture nécessaire à une sortie d’état de torpeur, à l’exception notable du sublime "Les Champs Demain", titre semblant à lui seul délivrer toute la quintessence du savoir (le chant habité de Chloé Saint-Liphard !) et de l’univers lyrique du groupe.
Est-ce le souvenir de la prestation du groupe à Cognac (le 23 novembre 2019) qui explique une perception différente d’Another Winter ? Un peu sans doute, mais pas seulement. Après plusieurs semaines d’écoute, le dernier opus laisse un autre goût ; il donne l’impression d’être venu corriger précisément les points reprochables à son prédécesseur. La tension nécessaire, celle qui tient en alerte, est palpable dès le premier titre. Il y a ce "quelque chose" que Vernes-Monde n’était pas parvenu à révéler, extraire, délivrer : une grâce, une tension, une densité. A quoi tient cette infime différence qui modifie à ce point la différence de ressenti entre ces deux albums aux tonalités musicales pourtant similaires ? Que s’est-il donc passé ? La réponse se trouve peut-être résumée en un mot : le rythme. Il y a d’abord la rythmique plus présente, avec des sonorités plus électroniques apparaissant discrètement sur le titre introductif "By the Pond" avant d’imprégner plus nettement l’entêtant "Pangs Of Severance" ou le très inspiré "Les Blés Océans". Dès lors, c’est le rythme de l’album lui-même qui se trouve scandé par l’alternance d’ambiances toujours très délicates et mystiques ("Les Périssoires", "Le Jour venu") et de passages à la puissance évidente.
L’album Recrafted proposé spontanément par l’ingénieur du son du groupe Piers Volta, apparaît comme une suite incroyablement logique tant Another Winter portait à bas bruit les sonorités et l’esprit du monde électronique. L’intérêt de cette version retravaillée, très originale, est de souligner la qualité des compositions (le titre éponyme est totalement réussi dans ses deux versions), voire donner à certains morceaux toute leur qualité mélodique ("Les Bancs de Sable"). Piers Volta se livre à une expérimentation dont l’ensemble ne convaincra pas systémiquement ; mais n’est-ce pas là le propre de l’artiste sincère qui ose vraiment ? A Recrafted Winter constitue en tout cas une belle invitation à (re)visiter le patrimoine de CdAA, à multiplier les allers-retours entre les versions pour prendre la mesure de l’exigence artistique de ce groupe vraiment hors du commun.