Revenir, une décision. Le cœur est léger si les ailes du désir vous portent. Curtain flotte au-dessus de lui-même avec ce disque "du comeback", qui suit la réédition du marquant et incisif No Flowers By Request (sorti originellement en 2000, résurrection il y a peu en version enrichie sur MusikÖ Eye, une nouvelle vie) et des réapparitions live desquelles transpire, des échos qui nous parviennent, une authentique force d’âme. Une date récente, fin mai 2024, les a vus ouvrir pour Martin Dupont et Corpus Delicti. Excusez du peu. C’était au Trabendo (Paris).
Les reflets du cuir, ses veines, le noir qui cache, la vie par-dessous. Between Us est un disque d’équilibre, de sentiments, de maîtrise. Force de l’expérience, pulsions sanguines. Gilles Boyer est toujours aux manettes, certains partenariats sont faits pour durer. Curtain renoue ici avec ce que l’on a toujours aimé chez eux, depuis le début : ce point de jonction entre des formes suggestives, organiques, et des sources de synthèse venues se greffer et gainant une fibre robotique. Les synthés, le piano, sont des outils de composition.
Il y a dans Between Us une exigence qui va de pair avec l’économie des couches : Curtain a une dimension minimale dans son approche, et ses instrumentations bouclées portent une authentique charge émotionnelle. En 2024, le binôme parvient à une forme stylisée et, dans ses formes, hybride et essentielle : les basses profondes et froides de François P. (rencontré par Ema B. vers 1995, premières autoproductions ensemble en 1996) remplissent leur office : elles forment avec les batteries programmées cette ossature à laquelle s’agrège le cortège des émotions. Elles, elles sont portées par les voix et guitares de cristal d’Ema, un type que la musique travaille depuis le plus jeune âge (tape trading et compagnie, à l’adolescence une vénération pour Chameleons). Les choses ne viennent pas de nulle part.
C’est un florilège que Curtain déploie sur Between Us : des fragments héroïques hérités du gothic 80’s ("Speed of Light") aux exposés plus intimes, hantés ("Obsession" et ses nappes de nuit, "Against the Wall" et une violence imaginée, malheureusement commune). Le disque est traversé par une urgence (effet de plein et de dur créé par la basse sur "Good Career"), il est taillé pour la scène.
Le texte, lui, est une matière à investir, à sentir ; et le travail des Parisiens sur la langue a évolué : le français s’impose - rien qu’un peu sur "A cold Life" mais - avec un naturel certain. Between Us dégage un climat, porteur en lui de quelque chose de familier (une permanence dans le son, un feeling), spontané, collaboratif et frais. La fluctuation dynamique du disque prend alors l’allure d’une collection de nouvelles, au croisement du vécu et de l’imaginaire. La musique planque sans doute plus de choses qu’elle n'en raconte ouvertement.