La grande prêtresse, moitié d’Alexander Hacke, revient en solo, quatre ans après le très bon Tacoma.
Et quel plaisir de la retrouver ! L’Américaine nous propose dix titres (dont deux uniquement disponibles en format numérique) sensibles et forts. Picciotto évoque notre monde actuel, qu'elle survole, dévoilant ses émotions. Elle perçoit la détresse et l’absurdité des humains, mais ajoute des notes d’espoir. Elle pose sa voix profonde pour nous conter son voyage, en faisant l’usage majoritairement de spoken words, mais elle chante également ("Et arripuerit", "Dark Butterfly", "Dancing in the Rain"). La tension est palpable tout au long de cette aventure, la traversée est macabre et la noirceur, omniprésente. Musique d’un autre temps, mais qui résonne pourtant de façon si contemporaine… Il y a du Laurie Anderson dans l’art de Picciotto à n’en pas douter, surtout quand celle-ci dégaine son violon. Elle s’écarte néanmoins des traces de son aînée, en convoquant une dark folk élégiaque sur "Deliverance" et "Die Wüste in meiner Seele". Parfois même, le disque se pare d’atours néoclassiques, des bruits épars sont incorporés, constituant une trame instrumentale minimaliste mystérieuse ("My secret Garden", "Sehnsucht").
Deliverance est un opus chamarré, assez déroutant, qui prouve une nouvelle fois l’énorme talent de la musicienne pour mettre en place des ambiances évocatrices. "Et arripuerit" (qui a fait l’objet d’une vidéo) et "Hail" sont tendus et portés par une forme d’électronique rituelle, s’avérant selon nous en deçà du reste. Leur aspect funeste est tout de même efficace, mais nous préférons quand Picciotto distille ses sonorités doucement mélancoliques, qui atteignent des sommets sur "Die Wüste in meiner Seele" et "Survivors". Si la tristesse s’impose, Picciotto nous rassure aussi, allant même jusqu’à composer un morceau atmosphérique particulièrement suave, "Dancing in the Rain", chargé en cordes sucrées et bienveillantes. Un album élégant, intelligent et extrêmement poétique.