Si des années 1990, il doit rester une référence dans le monde du death metal mélodique (appelez ça modern death metal si ça vous chante, les adeptes die-hard du death des origines exècreront toujours ça), c’est sans doute Dark Tranquillity. Certes, le groupe a connu gloires diverses, certains virages ou esthétismes ayant fait jaser (Projector, 1999) mais les fondements de son style sont restés constants. Permanence ayant favorisé la prise d’une stature, en comparaison d’un In Flames dont l’émancipation n’a pas forcément séduit sa base. Tout le monde n’a pas l’instinct de conservation.
Mikael Stanne (chant, seul membre d’origine de Dark Tranquillity) mène sa barque. Il est le membre historique restant avec le claviériste Martin Brändström, lequel joue un rôle fondamental dans les développements actuels de DT. Martin agit en producteur. Ce faisant, Stanne et lui maintiennent ce qui semble un petit peu devenir "leur" Dark Tranquillity. Cela dit, tout montre que ce n'est pas simple : l’esprit est à l'ouverture et la coopération. Les musiciens qui les entourent aujourd’hui sont autant de gardiens du Temple (respect envers le bassiste Anders Iwers, dont les rondeurs ont marqué nombre de projets cultes dans le metal). Et puis on n’oublie pas d’où l’on vient : dans le souci sans doute d’insuffler permanence, Stanne consulte certains membres historiques sur les évolutions en cours (allusion au guitariste récemment sorti du jeu, Niklas Sundin).
Si les dernières années incluent des péripéties internes (trois nouveaux membres enregistrés officiellement au line-up depuis 2019… dont ceux fondant l’armature des guitares, ce qui n’est pas rien pour un projet de ce genre-là), les followers peuvent se le tenir pour dit : le son de la marque, en 2020, se maintient. L’avant-dernier dernier opus et son "agression sophistiquée", Atoma (2016), ne déméritait pas et Moment, qui présente DT dans cette nouvelle configuration, a pris pour parti de limiter les risques. Drastiquement. Le message, clairement, est celui d’un maintien esthétique : tout change ? Rien ne change vraiment, enjeu d’identité. La typologie des guitares se maintient, premier point : DT revoit certes sa surface mais elle ne se dénature pas avec l’intégration des "nouveaux". Nouveaux ? Pas tant que ça en plus, et du sérail surtout. Continuité dans le changement : Christopher Amott et Johan Reinholdz (de Nonexist, projet pour lequel Stanne avait enregistré quelques voix et personne recommandée par Sundin) sont dans les parages depuis quelques années, et notamment au service de la configuration live.
L’ensemble que présente le DT v.2020 peut au final se targuer de cohésion : les guitares fonctionnent très bien, ça rutile et ça sent le métier. La réussite est au bout. Nombre de mélodies frappent ("A drawn out Exit"). Stanne, pour sa part, se montre en confiance et pertinent dans tous les compartiments de son jeu. En chant clair, il s’avère particulièrement efficace ("Standstill", "Eyes of the World", à fondre sur place). Il y a de la santé.
Moment, enregistré dans deux studios différents (puis mixé et masterisé par le sachant Jens Bogren au Fascination Street), est un disque sur la gestion du changement : ce moment où il revient à chacun de faire des choix. Et le travail, dans son processus lui-même, témoigne d’un temps de changement et d’adaptation : les morceaux écrits par l’ancienne configuration, celle qui préexistait à l’introduction des deux nouveaux guitaristes, s’est réappropriée les écritures. Les deux "nouveaux" donnent dans les mots de Stanne de nouvelles perspectives à DT : ils permettent au groupe de concrétiser très vite les idées formulées par des mots. Polyvalence, instinct commun : pas que du "métier", les signes d’une chimie en émergence. Et l’on peut sentir le soin et la bienveillance avec lesquels cette chimie a opéré. Le souci que porte en 2020 DT aux mélodies et à la recherche de climats (le final et spleenesque "In Truth divided") est au moins aussi poussé qu’avant ("Ego Deception").
Continuité dans le changement, très certainement - et dans l’air flotte quelque chose d’immuable. Sans doute ce qu'on appelle dans le jargon "le son de Göteborg". Un esprit, en quelque sorte. Et Niklas Sundin, qui certes ne joue plus, a réalisé la pochette. L’union fait la force, ça ne fait pas de doute.