C’est l’histoire de deux mecs qui ont décidé de déterrer le cadavre fumant du son heavy/doom des années quatre-vingt. Qui sont ces joyeux drilles ? Darkthrone bien sûr ! La paire Fenriz/Nocturno Culto, originaire de Kolbotn, n’en finit plus de ressusciter le son metal de leur jeunesse. Une volonté farouche de perpétuer le culte d’une musique qui les a nourris lors de leur formation. En effet, le groupe norvégien légendaire se pose en gardien d’une tradition au risque de dérouter certains puristes du black metal. Car les deux amis ont considérablement évolué depuis leurs débuts fracassants. Cette année par exemple nous fêtons les trente ans de la sortie du très controversé Transilvanian Hunger, pierre angulaire du metal extrême dans ce qu’il a de plus cru, lo-fi et "trve". Puis, le guitariste et le batteur, ont peu à peu délaissé l’apparat classique du black metal nordique, pour se concentrer vers des formes métalliques plus abordables et variées. Après un passage crust punk remarqué dans les années deux mille, ils ont dirigé leur art vers des rivages thrash, speed, heavy et doom. It Beckons Us All, vingt et unième long format du duo n’échappe pas à cette règle. Il s’intègre ainsi parfaitement à une série d’albums marqués par des sonorités old school, dont Arctic Thunder (2016) est sans doute le meilleur représentant. Ce nouveau disque, enregistré aux studios Chaka Khan d’Oslo, explore des thèmes sombres, comme le révèle le truculent Fenriz : "J’ai du mal à mettre des mots sur mes sentiments personnels concernant le titre existentiel "It beckons us all". Je ne peux qu’espérer que d’autres puissent ressentir la noirceur qui l’englobe."
Tout démarre par un flottement électronique. Ensuite, un riff lancinant émerge et un tempo sagace affiche la couleur : lourdeur et fièvre de l’épopée ancestrale. Darkthrone pose son talent en créant un univers marqué par l’histoire, variant les motifs et s’éloignant d’un registre convenu. Ainsi, nous sommes happés par l’excellence d’un titre comme "Eon 3", une leçon du genre ! La vigueur de la cavalcade guitaristique nous plonge dans un héroïsme musical que n’aurait pas renié Chastain. Fenriz prend le micro, faisant évoluer ses vocalises jusqu’aux extrémités d’un King Diamond. Puis, la masse sonore s’amplifie et ralentit. Le doom apparaît alors dans sa dimension la plus lyrique. On pense alors au Candlemass de Nightfall ou à Cathedral. Dès lors, It Beckons Us All alterne passages speed/heavy et lenteur lugubre, avec toujours cette volonté d’éviter la linéarité. Par conséquent, les morceaux revêtent des teintes diverses en fonction des breaks développés. Nous relevons en particulier du chant clair sur "Black Dawn Affiliation" et le monumental "The lone Pines of the lost Planet". Petite surprise : "And in that Moment I knew the Answer" est instrumental. Trois minutes d’un metal plutôt doux, progressant en suivant une ligne stable, où la guitare est secondée par un synthétiseur élégiaque. Le black reprend ses droits sur "The Bird People of Nordland", sur lequel le fantôme de Celtic Frost plane. La voix de Nocturno Culto est rageuse, au sein d’un écrin sonore pesant. Les trémolos rehaussent les accords denses, avant que la matière initiale sorte de son marasme pour se tourner vers une rapidité bienfaitrice. "The heavy Hand" déçoit. En soi, il s’agit d’une piste classique dans le style du black metal norvégien, mais sa composition jure un peu avec l’ensemble. En effet, elle est très statique, ne proposant rien de neuf dans son obscurité conventionnelle.
L’extase survient après. "The lone Pines of the lost Planet" est un chef-d’œuvre de dix minutes, témoignant de la grande inspiration du duo. Des effets apposés sur la guitare claire en introduction et en conclusion, jusqu’aux déploiements les plus heavy, tout est en place pour faire vibrer le metalhead. Mais surtout, on perçoit nettement l’influence de Black Sabbath. Les riffs solides et macabres renvoient au doom profond des Anglais dès les premières minutes, avant d’intégrer une touche stoner par la suite. Puis, d’un coup, le mystère survient. La rythmique s’étiole, laissant place à la torpeur. Un moment suspendu qui rappelle "The Rime of the ancient Mariner" de Maiden. À ce moment, les Scandinaves optent pour l’extase et finissent en proposant un metal typé eighties, farouchement homérique et addictif ! Le propos est efficace et clôture parfaitement ce nouvel effort.
Décidément, Darkthrone assoit toujours un peu plus son statut de mythe. Faisant fi des modes et des commentaires, le groupe trace sa route, sans n’avoir plus rien à prouver. Les deux hommes sont uniquement motivés par l’envie de s’éclater en rendant hommage à de glorieux aînés, tout en affirmant leur identité. Nous avions déjà établi ce constat avec Eternal Hails (2021). It Beckons Us All confirme pleinement ce sentiment.