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Ténèbres, puits sans fond. Obsküre plonge, fouine, investigue, gratte et remonte tout ce qu’il peut à la surface

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Interview
04/10/2024

Dawn + Dusk Entwined

30 ans de musique | "J’ai besoin de calme, de ressentir une liberté sans oppression, ce qu’offre une vie rurale dans le fin fond de la Sarthe"

Photographies : David S. archives
Genre : post-industrial / ambient / coldwave
Posté par : Mäx Lachaud

Cela fait déjà trente ans que le one-man-band français Dawn + Dusk Entwined développe un univers mélancolique, martial et cinématique. Signé sur des labels de référence en termes de musiques post-industrielles (World Serpent, Cold Meat Industry, Dark Vinyl), David S. a suivi sa route tranquillement et s’est montré particulièrement créatif depuis 2020. Obsküre porte aujourd’hui un regard rétrospectif sur ce projet avec le principal intéressé, tout en révélant les sorties à venir.

Obsküre : Il y a 30 ans naissait le projet Dawn & Dusk Entwined, est-ce que tu peux revenir sur sa genèse, quand tu as commencé la musique, tes inspirations d’alors et l’idée que tu souhaitais développer ?
David S. : J’ai toujours adoré la musique, depuis gamin ça a été mon refuge et mon  échappatoire. Et ça m’a toujours démangé d’en faire… C’est l’achat d’un Korg M1 qui m’a fait franchir le pas, avec les possibilités qu’offrait alors ce type de workstation. Au début des années 1990, mes influences étaient très diverses (de Neubauten à Bauhaus, en passant par Tuxedomoon ou Klinik), mais en commençant à pianoter j’avoue que j’ai été attiré par ce que faisaient Sixth Comm ou d’autres moins connus comme Endvra ou les français d’Upsland. In the Nursery pas tant que cela, même si on me le rappelle souvent, je ne suis pas fan absolu.

Pour marquer le coup, la toute première cassette de 1995 a été rééditée, Myth, Faith, Belief. À l’époque, tu l’avais sortie en autoproduction et tu as gardé cet esprit du do it yourself. Te rappelles-tu le contexte dans lequel ces premiers morceaux ont été composés ?
Ce sont finalement les premiers essais que j’ai réalisés sur mon Korg M1, à l’aide du multipistes intégré, avec l’ajout de sons divers et de ce qui ressemble à une voix sous une tonne d’effets ! Cela a donné la cassette Myth, Faith, Belief, compilation assez maladroite des premiers essais. J’ai été porté par les sonorités de nappes du Korg pour créer ces premiers morceaux sans penser à une cohérence quelconque. Raison pour laquelle une diversité entre des titres comme "The Drift" et "Sigurd’s Awakening" a pu décontenancer les auditeurs les plus soucieux de caser les groupes dans des catégories. Mais peut-être est-ce déjà, aussi, une sorte d’identité propre.

En 1997, le projet signe avec World Serpent pour A Leftover Of Gaia et Forever War, et en 2011 ces enregistrements paraîtront chez Twilight Records sous le titre Recollection. Qu’est-ce que cette signature t’a apporté en termes d’évolution artistique ?
D’abord une fierté ! J’ai relu plusieurs fois le courrier que j’avais reçu de WSD pour être certain que j’avais bien compris ! C’était à peine croyable qu’un petit projet français sans carte de visite puisse être associé à des noms comme Death in June, Sol Invictus, Current 93, Nurse with Wound ou Coil… Avec le recul, je me demande encore ce qui a pu motiver David et Alan pour croire un minimum en D&DE… sans vouloir me déprécier, mais tout de même ! C’est bien sûr une reconnaissance à l’échelle de ce label mythique qui a porté la lumière sur D&DE, sans quoi il n’y aurait probablement pas eu la longévité que le projet a aujourd’hui, j’aurais probablement abandonné. J’ai eu de ce fait l’opportunité aussi de participer à des compilations entre 2000 et 2002 qui ont contribué à me faire connaître à d’autres publics : Lucifer Rising, Immortal Legends, Codreanu ou Audacia Imperat.

Je ne pense pas me tromper en disant que c’est vraiment avec Remergence, paru chez Athanor en 2003, suivi par le EP A Harvest of Winds que Dawn & Dusk va marquer les esprits et pondre son premier classique. Le style y est plus abouti et maîtrisé, la voix plus affirmée. Est-ce que ta musique a aussi été liée à une technologie, des synthés et équipements que tu as enrichis et développés avec le temps ?
À vrai dire, Remergence est l’aboutissement des deux premiers albums, et également le plus abouti, tu as raison. À ce moment, j’étais allé au bout de la méthode que j’utilisais quasiment depuis les débuts, et qui commençait à montrer ses limites en termes de complexification des structures et d’ampleur. Par la force des choses je me suis mis ensuite à la musique assistée par ordinateur en 2006, d’où aussi le petit creux dans les productions jusqu’aux albums chez CMI. Néanmoins, comme tu dis, c’est un premier jalon pour D&DE, qui formalise en quelque sorte un son personnel, une "marque de fabrique".

Entrer dans l’écurie Cold Meat Industry avec Septentrion (2007) et Sang Graal (2008) a aussi confirmé Dawn & Dusk comme un projet important de la scène postindustrielle et dark ambient. Quels souvenirs gardes-tu de cette période ?
C’était assez dense puisque j’étais en train de travailler sur À l’Aube Des Jours Anciens quand j’ai reçu la proposition de Marcus pour une collaboration pour le projet Sang Graal. Lui avait déjà quasiment l’accord de CMI pour une sortie, ce qui s’est confirmé. J’ai pu de ce fait proposer Septentrion et trouver un nouveau public. Une belle étape en somme ! Avant de reprendre et terminer À l’Aube Des Jours Anciens tranquillement ! Après, je ne me considère pas comme un projet important, car souvent en marge des groupes phares des labels, surtout CMI qui ne sortait au départ que des Suédois. Mais ça n’a jamais été vraiment mon ambition.

Avec À l’Aube Des Jours Anciens en 2011, cette première période s’achevait sur une note mélodieuse où les rythmiques martiales et arrangements néoclassiques se rapprochaient de la coldwave des années 1980. Pourquoi avoir arrêté pendant presque dix ans après ce disque ? Est-ce que tu avais l’impression d’avoir fait le tour ?
Pour moi, c’est la deuxième période ! C’est marrant que tu ressentes ces titres comme influencés coldwave, car il n’y avait pas cette intention à l’époque, tandis que je suis là-dessus sur de nouvelles démos ! Oui, une certaine fatigue de courir après les labels, le temps pour la promotion, et surtout musicalement le sentiment d’avoir atteint des limites de créativité, je me disais qu’après À l’Aube Des Jours Anciens j’aurais du mal à faire mieux. Ensuite que faire ? Et puis comme beaucoup de monde, le travail et la fatigue qui prennent le dessus et ne laissent pas assez d’espace pour se projeter ailleurs. Il m’a fallu le temps, et surtout l’envie, voire le besoin de ressortir les claviers.

Depuis 2020, en revanche tu as été extrêmement créatif. En dehors du retour de Dawn + Dusk, il y a eu aussi le projet plus electro-pop This Stranger Within ou indus avec Godwin Point, déjà trois albums. Peux-tu nous en dire plus sur ces projets et la volonté de développer des univers différents ?
Comme je te disais, près de dix ans de recul et d’une réflexion plus ou moins latente ont abouti concrètement à l’idée de dissocier les projets, pour que D+DE reste identifiable, mais sans me cloîtrer dans un carcan et me réfréner sur des idées ou des sons différents. Car en dix ans j’ai eu le loisir d’élargir encore mes horizons musicaux. En fait j’avais fait des bricolages pour This Stranger Within depuis 2012 environ, la difficulté étant de réussir à trouver un son propre dans un style que je n’avais jamais vraiment travaillé. Je me suis rendu compte au final que le "gros son" était au moins aussi important que la qualité des morceaux, ce que je n’ai pas vraiment réussi à atteindre, ni toucher un véritable public. D’où la mise de côté du projet avec la compilation digitale This Stranger Within – definitive edition (sur Bandcamp) qui rassemble ce qui a pu être intéressant ! Et puis mener trois projets conjointement demande trop de temps, je vais donc me contenter de ces deux-là. Godwin Point est davantage une récréation où je me fixe peu de barrières, dans un démarche d’urgence, raison pour laquelle je produis plus vite. Le côté brut sans réel souci de production de "son lisse" - au contraire ! -, me plaît beaucoup, et j’ai quatrième opus autour des thématiques des premiers romans de Brett Easton Ellis, donc encore autre chose que les guerres du pétrole et l’impérialisme américain du Godwin Point III. Godwin Point, c’est plus bruyant, chaotique, expérimental, avec des réminiscences des projets indus des années 90’s et 80’s, que je ne cherche pas à masquer, mais que j’envisage comme des clins d’œil.

Au fil des ans, il y a eu pas mal de collaborations : :Golgatha:, Artefactum ou encore Sixth Comm. Est-ce que cela s’est fait tout simplement en s’envoyant des enregistrements ou tu as pu les rencontrer ?
Pour :Golgatha : j’ai déjà évoqué la genèse, tandis que concernant Artefactum je recherchais une voix féminine, et comme nous étions en contact, j’ai simplement proposé à Merissa la participation. Elle m’a sauvé le morceau "Our Chant is the Chant of the Sea" autrement il n’aurait pas figuré sur l’album. C’est dommage qu’elle ait arrêté la musique car Artefactum apportait un regard féminin original dans cette scène ambient. 
Patrick Leagas… est pour moi un mythe ("The Calling" !), et pourtant quelqu’un de simple et de drôle. Je n’aurais jamais imaginé en 1994 que je puisse un jour faire quelque chose avec lui ! D+DE me permet de réaliser des rêves, sortir des disques, travailler sur des projets excitants avec des personnes que j’admire. Mais effectivement je n’ai rencontré personne ! Question de personnalité je suppose, mais j’ai néanmoins l’impression de partager des choses sans avoir forcément à rencontrer les gens.

En effet, Dawn & Dusk n’ayant jamais joué en live, on a l’impression que tu restes quelqu’un d’assez isolé et solitaire. Au final, est-ce que cette image est fausse et tu t’es toujours senti faire partie d’une communauté d’artistes ?
"Solitude is not given, solitude is earned" disait un autre David ! C’est vrai, je l’avoue. J’apprécie de me retrouver avec moi-même, hors du tumulte des relations de travail, du "vivre ensemble", de la ville, etc. J’ai besoin de me couper de tout cela, et d’être au calme, de ressentir une liberté sans oppression, ce qu’offre une vie rurale dans le fin fond de la Sarthe ! Je me méfie par essence de tout ce qui est communauté, parti, etc. Et je ne répudie pas à sociabiliser de temps en temps, mais pas trop longtemps… Une arlésienne, je sais, mais il n’est pas exclu de jouer live de mon vivant, le Wave Gotik Treffen 2023 a failli se faire ! Bonnes volontés pour un live, je suis à l’écoute !

As-tu prévu d’autres surprises pour les trente ans de Dawn & Dusk ?
Pas vraiment des surprises, si ce n’est que ceux qui aiment D+DE devraient être comblés par plusieurs sorties à venir, sur Dark Vinyl encore, je l’espère. J’ai déjà évoqué le quatrième Godwin Point, pour lequel j’ai fait l’effort de trouver un titre : Less Than Zero (d’accord, il n’est pas de moi !). En vrac, un nouveau D+DE qui s’intitulera Let Fall What Must Fall, dont j’espère la sortie pour la fin de 2024, qui constituera la fin de la trilogie entamée avec Crossed Paths. J’aimerais aussi ressortir ce dernier dans des versions plus abouties, un genre de Redux, car je le ressens maintenant comme un retour un peu timide, avec des approximations et un manque de partis-pris par endroits. On verra bien ! Je suis en train de travailler sur d’autres directions musicales que le côté électro-pop de la "trilogie", quelque chose d’à la fois plus ambiant, dur, et acoustique, voire coldwave. Le titre en est Omnes Contra Omnes et il est déjà bien avancé. Dans les bacs en 2025 ?

Diskögr
  • Myth, Faith, Belief (1995)
  • A Leftover Of Gaia (1997)
  • Forever War (1999)
  • Remergence (2003)
  • Septentrion (2007)
  • Sang Graal w/ :Golgatha : (2008)
  • Cathédrales De Brume (2009)
  • À l’Aube Des Jours Anciens (2011)
  • Crossed Paths (2020)
  • Terms And Conditions (This Stranger Within, 2020)
  • Godwin Point (2021)
  • Godwin Point II (2022)
  • La Flamme Rouge (2022)
  • When I Die Burn Me In The Clothes Of My Youth (2023)
  • Godwin Point III (2024)