Ex-Zoviet France et Beehatch (entre autres), ancien membre de Download (projet emmené au début par cEvin Key et feu Dwayne Goettel, de Skinny Puppy), Mark Spybey est un expérimentateur qui a construit sur la restriction. Dans les notes qui accompagnent sur le web la reparution de ce premier enregistrement de Dead Voices On Air, il rapporte cette parole à Holger Czukay, de Can : "l'incapacité est la mère de la restriction et la restriction est la grande mère de l'invention."
Abrader, œuvre mixée en temps réel dite de "panambiance organique", est le premier vrai album de Spybey sous le nom Dead Voices On Air, projet o combien prolifique. L'ensemble originel est le fruit d’une instinctive fulgurance. Enregistré en quelques jours à peine à Vancouver, il dépose une marque. Vous y retrouverez cette "désynchronisation" des sources (Spybey parle de "déphasage"), typique du travail de Mark : une plastique sonore bruitiste et faisant œuvre de mélange entre des sons "primitifs" et des sources issues d’appareils trouvés ou utilisés dans la vie de tous les jours. Le bruit à effet de répétition que tire Spybey de ces mélanges est hypnotique, atonal. Nulle trace ici, en revanche, d’une tendance profonde à l’horreur (cf. Brighter Death Now). Le fourmillement, la profusion des détails (résultat d’un travail réalisé sur un modeste quatre-pistes) projette des images, des cycles. Retour à la nature : sur la fin de "Vaerglas", vous avez l’impression de vous retrouver au cœur d’une forme de micro-vie en grouillement. Le son de DVOA, à sa manière et souvent, produit un envoûtement ("Concretion" et ses bruits de laverie).
Cette version d’Abrader est une version augmentée et qui vise à rassembler les travaux en date d’une époque. Les trois premières pistes constituent l’œuvre d’origine, Abrader, parue en 1994 sur G.R.O.S.S. (par la grâce d’Akifumi Nakajima, auquel ce nouveau format est dédié, ainsi qu’à Zev Asher). Les deux pistes suivantes, concoctées à une époque proche, ne sont parues pour la première fois que sur la réédition double Fast Falls The Eventide (Lens Records, 2009). Transpire ici une option ambiante, cinématographique et qui ouvre la palette de ses sources, couchée en compagnie de cEvin Key (le beau "Papa Papa Revers"). Les sixième et septième morceaux, restés inédits, ont été enregistrés en 1994.
La réédition 2022 d’Abrader a fait l’objet d’un soin particulier. Le son a été remasterisé par le prestataire de services régulier au service des archives de Cold Spring, Martin Bowes (Attrition) et les visuels qui ornent le digipack, magnifiques, sont une fourniture signée de Spybey lui-même. La réécoute de l’ensemble de ces travaux donne alors à saisir une puissance d’intention, et celle du principe de faire à partir de peu : les soubresauts du son de Dead Voices On Air sont pleins de cette force d’intention, d’aucuns diraient "la vision". Car Mark Spybey, dans son processus, est un visionnaire.
