Les protagonistes principaux scintillent sur la pochette, mais pas aux mêmes endroits. Claudine (Sabatel) et Federico animent Dear Deer depuis des années. Deux albums studio au compteur. L’animation est un art exigeant : l’auto-management fait qu’ils font leur booking eux-mêmes ; et lorsque les shows ne sont plus possibles ou bookables, ils se retrouvent à la maison. Huis-clos, ère Covid.
Le confinement n’est pas distraction naturelle. Sous le poids de la contrainte, les énergies risquent dissipation, délitement. Fatalité : il y aura ces musiciens qui, en l’absence d’alternative, glisseront vers morfondre. Certains abandonneront. Comment tenir la rampe ? Comment dépasser ? Les solutions ne peuvent être que provisoires, une improvisation. L’humain n’anticipe guère mais peut s’adapter. Cela étant, les options salvatrices restent l’apanage des imaginatifs.
- Option 1 : créer de nouveaux titres. Eux-mêmes concèdent, sur ces bandes, ne pas s’y être mis à l’époque des faits (mais que font-ils à la place ?).
- Option 2 : maintenir le contact avec le reste du monde par d’autres canaux que le show en salle. Le réseau ouvre les chemins d'une expérience en conditions du direct : live streaming, Facebook, et le concert vient à vous. En l’occurrence, Dear Deer peut. C'est un couple, ces gens font de la musique et vivent au même endroit, peuvent brancher leurs instruments et créer les conditions d’une performance que vous vivrez en même temps qu’eux. Et ils le feront plusieurs fois, les fins de dimanches sur les mois de mars et avril. Leur maison est la scène, la fosse est dans la vôtre.
Ces moments fugaces, de diablesse énergie, sont immortalisés sur We Can Play In A Living Room, donnant à revisiter le fond de catalogue. Et Dear Deer ne jouent pas que dans la salle à manger ! Au contraire, ils nous font visiter leur chez-eux : Sabatel et Federico, chaque soir dédié, choisirent une pièce, y installèrent le matériel, enregistrèrent et diffusèrent l’exploit via Facebook Live. Ils ne se gardèrent point, à l’occasion, d’interpeler le public. Bouquet de langues et concert itinérant ! Claudine n’était pas toujours dans la cuisine et Federico ne la lâchait pas d'une semelle – les preuves :
Chaque exploit file en mode court : les séances comprennent à l’unité entre trois et cinq titres, et Dear Deer sont aussi prog que Yes punk. C’est court, et c’est bon. La saillie organique déflorant le robotisme de cette musique forme évidemment le menu et porte souvent estocade. Épice : la voix "miaulante" de Sabatel (mais comment fait-elle ça ?). Les plats s'enchaînent et la roue tourne. Dix, douze, quatorze minutes par session – et hop, dans la boîte. En bout de chaîne : édition des morceaux par le sachant Paul Fiction, la cerise.
Alors nous gardons tout de ces seize prises, au fil desquelles Dear Deer fait état d’une force d’humeur que l’on souhaite à beaucoup. C’est plus qu’un objet de collection pour les fans : une trace de volonté, de fun et de vie capturée en contexte atypique. Les musiciens indie ont parfois l’impression de nager mais Dear Deer, eux, font partie des seuls à savoir désormais ce que veut dire jouer dans la baignoire.