La première qualité qui vient à l’évocation du nom de Def, outre sans aucun doute une force de personnalité certaine, est celle de l’exigence. Def est de ces protagonistes du son qui ambitionnent l’orfèvrerie, à l’instar – dans d’autres champs sonores, marqués eux aussi par l’importance de la technologie – d’un Rémy Pelleschi (Mlada Fronta) ou un Alan Wilder. Tout le son que Def a produit ou dont il a contribué à rendre les reliefs live, à chaque fois nous a saisis. Sans doute pas pour rien si des gens du calibre de Von Magnet ou Diamanda Galás lui ont un jour fait appel en cas de performances live, ou si le nom de ce performer et ingénieur-son se retrouve dans les parcours de musiciens aussi exigeants que 2Kilos &More, Mimetic (Jérôme Soudan, collaborateur passé de Von Magnet) ou Metameat (entre autres). Et qui se ressemble, s’assemble souvent : un autre orfèvre a pris soin de la masterisation du cru 2020 : Norscq, proche lui-même de certains noms égrenés ici.
Re-Cover (Sybaritic & Militant Songs), second opus solo de Def (seize ans après C) ne déroge absolument pas au niveau d’ambition coutumier. À la fois de globalisation et de détail, ce voyage confond abstraction de la forme (la boucle, l’hypnose, expérience immersive en sus et place du speech) et références factuelles (la voix peut tenir un discours). Def combine avec maestria les textures, ce qui tient certes à une intuition, l’intuition est moteur, mais avant toute chose à un travail – et peut-être, qui sait, à un processus obsessionnel. Les joailliers connaissent l’obsession. Def nous précise d’ailleurs qu’il s’est agi d’un "travail au long cours [réalisé] sur trois, quatre ans", suivi de "deux, trois années de réécoutes intenses et en très grand nombre, [ainsi que de] beaucoup de travail sur le mix." Nul n’en doute à l’écoute, car le fruit tiré de ce labeur étendu concentre une finition et des ambiances uniques, tout en spatialité. C’est une musique de recul. Détaillée, méticuleuse, intentionnée, réfléchie. Le feeling cosmique qui nimbe "Rest in Pieces" ne contient pas de cliché funéraire, et c’était sans doute le meilleur hommage à rendre à la regrettée Evelyne Hebey, personnalité du trio de création ambiante Wild Shores, partie en 2017. Evelyne, tu n’es pas oubliée et ne le seras pas. "Sweet Marie", pour sa part, est dédiée à Marie Cabaret, personne du sérail intime de Def, disparue en 2015.
Fond comme forme, dans le son enveloppant de Re-Cover se trouve donc cette résonance humaine. Il n’est plus très sérieux de considérer aujourd’hui encore que ce qui provient des machines ne tiendrait pas de l’humain. Cette musique n’est pas désincarnée, ou technologique pour le plaisir de l’être : il y a là une émotion, pigment liquide ("Emptied Spaces"), courant sensuel. La machinerie permet, pour peu que le veule son manœuvrier, résurgence du réel ou de l’éprouvé – et la condition humaine fait partie du jeu battu par Re-Cover : elle est étudiée, le cas échéant contextualisée. Le cas de la Côte d’Ivoire est soulevé par le flow de "PitchBlacked" (réalisé avec Black Sifichi) : les mots posent de manière factuelle la question de la survie économique et sociale en une contrée comme oubliée ("Connaissez-vous la capitale de la Côte d’Ivoire ?" – au cas où ce serait non, déculpabilisez : le speech replantera le décor – et puis de toute façon, cette capitale, "personne ne s’en souvient").
En ces temps de réclusion pour une bonne moitié de l’humanité, pandémie de Covid-19 oblige, Def a publié (bien en amont des mesures mondiales de confinement) cette musique émouvante, remuante, évocatoire. Musique dans son temps malgré elle, propice au recueillement : les cristaux glacés qui jaillissent de sa pulsation ondulatoire et minimale renvoient à l’intériorité. Cette musique vous sonde, interroge vos limites. Chaque beat, chaque vrombissement de basse, ouvre la porte à un aller-retour entre soi et le monde : indicible voyage et expérience sensorielle hallucinatoire, d’une force comparable à celui que nous fit faire, sous d’autres formes et par d’autres angles, le Ni Prédateur Ni Proie d’un Von Magnet. Sinueuse majesté que celle de "Domino's Principle Part One, Eleven Thirteen'th." : la porte s’est ouverte, donnant à espérer la possibilité de quitter ce corps qui emprisonne l’expérience et limite la conscience. Def, bardé de sa machinerie, ouvre une voie chamanique.
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À ÉCOUTER [Def inside]
- METAMEAT | Metameat (Ant-Zen, 2016)
Mixé et produit par Def
- 2KILOS &MORE | Exempt (Ant-Zen, 2020)