Contrat rempli pour Dekad et le label BOREDOMproduct : ce cinquième album coche toutes les cases nécessaires pour justifier un achat et un engouement.
Ecartons d'emblée le point litigieux : Nowhere Lines ne révolutionne rien. Ce n'est pas l'objectif. Seuls les spécialistes sauront dénicher l'innovation technologique dans l'utilisation des instruments et logiciels. Pour ma part, en modeste auditeur, je reste sur le plaisir pris à entendre distinctement chaque piste et le détail de réverbération et de profondeur de certaines sonorités, "belles à pleurer". Foretaste XY et Member U-0176 ont apporté leur expertise à la production, tandis que Laurent Cristofol s'est chargé du mixage puis du mastering ; forcément, ça sonne et c'est avec le minimalisme de "Your World" qu'on s'en rend le mieux compte. On a là un mur de son en mode ping-pong rutilant comme une machine de guerre sur des pistes de danse. Plus loin, on déguste l'instrumental "Last Chance" avec étonnement : se lancer dans un interlude, c'est une démarche gonflée, mais pleinement justifiée puisque le titre suivant ressortira plus fortement.
Pas novateur donc : ce qui fait qu'on a ici un album de synth-pop / bodypop classique comme on en fait depuis... mettons, Violator de Depeche Mode pour donner une idée de la chaleur qui s'en dégage et qui n'existait que peu dans la new wave du début des années 1980.
Une chaleur qui est sensuelle, organique, sexy, enveloppante. Il le sait, J.B. Lacassagne, puisqu'il intitule un titre "Your Love is like a Fever" et son chant accompagnant la mélodie évoque les riches heures de Mesh. Entendre Ulver modifier son algorithme pour créer un "Little Boy" (Flowers Of Evil, 2020) rend hommage à tous ces groupes qui œuvraient dans ces terres depuis bien plus longtemps. Dekad et le label BOREDOMproduct font partie de ces fans d'électronique racée. Année après année, ils ont peaufiné leurs sons et leurs compositions, sorti des disques de plus en plus méritants.
Alors, oui, malheureusement, le disque ne tapera que dans les oreilles des connaisseurs qui sauront y trouver la perfection qu'ils attendaient, les mille merveilles tournoyantes capables de faire pétiller les nuits ("I know"). C'est acidulé, rythmé, dansant, mélancolique, suave, propre et maîtrisé. Pourquoi "Promises" ne passerait-il pas sur les ondes des radios françaises et internationales cette fin d'été ? À nous, à vous de pousser un peu plus ces musiques...
Bien sûr, d'autres pourraient demander de muscler un peu l'ensemble, non pas en terme de BPM (car la cadence est bonne, si on se réfère à "Never sleep again"), mais en référant leurs envies aux sons développés par Reznor sur le premier Nine Inch Nails et à la rage qui sous-tendait le disque, pourtant, écoute après écoute, on sent et on comprend que l'équilibre atteint est le bon, celui qui correspond aux états d'âme évoqués : c'est cet aspect fleur bleue, crooner, lover défait qui peut transformer une chanson de freaky voyeur en ode aux amours vains ("Watching You"). Et puis, que dire face à la perfection de "Stay" ? Astucieusement placée après l'instrumental, elle jaillit, écoute après écoute, comme un single invasif.
Merci à eux d'entretenir la flamme d'une musique essentielle et limpide.