C’est comme ce feutre, doux, qui tapisse le sol et que parcourent vos mains. Elles s’égarent. Votre oreille contre le feutre, le corps entier. Silence du feutre, bruit de l’intérieur : souvenirs, angoisses, espoirs, ces choses qui remontent. Le feutre écoute.
La musique de Deleyaman est un accueil. The Sudbury Inn est sans nul doute l’un des ensembles les plus charnels et sensibles jamais couchés par le collectif (au line-up comprenant ici Jules Maxwell) emmené encore et toujours par Aret Madilian et Béatrice Valantin. Les disques de Deleyaman laissent une empreinte, et celle de ce cru 2023 sera profonde. Une chair intime dans les basses, les cordes économes : ce bruit intérieur que les autres ne perçoivent jamais dans l’instant, mais que la musique donne à entendre. Les ambiances coulées, la précaution, cette recherche d’équilibre, de vérité dans le son. Intention pure. La vibration qu’engendrent les instruments portent ce que les mots ne peuvent pas toujours, et la mélancolie qui se dégage de ces chansons vous traverse ("A Tale", "Many Years Late").
Lorsque la rythmique relâche sa bride, les cuivres épicent. Alors c’est un peu comme si vous partiez en voyage ("Willow"), et c’est la puissance de cet art. Deleyaman a ce vélin filmique, qui se remarque d’autant plus que le groupe se veut tout sauf démonstratif. Il a toujours eu ça. Des contemporains tels Tindersticks, dans un autre genre, ont aussi cela. Deleyaman sont de ces chansonniers qui ne font remonter à la surface que ce qui se trouve au cœur, ou noue le ventre. Ils le font aujourd'hui comme ils l’ont toujours fait : sans manières, sans effets superflus, sans spectacle. Le plus grand spectacle est dans ce qui ne se voit pas. Le poète écoute son ventre et encre la plume de l’atmosphère d’un lieu : elle se transporte dans ses mots et quand bien même vous ne connaîtriez pas l'endroit, quelque chose de lui, de ce moment vécu, reste là. Sur la page, dans son vélin. Rien que pour vos yeux.