Den Sorte Død est une entité bicéphale, composée d’Anders Nydam (Offermose) et Daniel Silwerfeldt (ANGST/Angst Sessions). Les deux hommes proposent une musique somptueuse, cosmique, rituelle et sombre, extrêmement fascinante. Cette année, ils ont sorti leur quatrième opus (éponyme) ensemble chez Cyclic Law. Les Scandinaves franchissent une étape supérieure et cet album les consacre pleinement comme les hérauts d’espaces sonores intemporels, frôlant le dungeon synth, mais sans jamais totalement intégrer le genre. Les huit nouveaux titres enregistrés figurent d’ores et déjà parmi les meilleures compositions de 2021. Un choc artistique dont nous avons encore du mal à nous remettre. Images de forêts nordiques, de transes chamaniques et de sabbat noir, tels sont les éléments qui viennent à l’esprit en écoutant Den Sorte Død. Les musiciens nous ont accordé un entretien au cours duquel ils nous éclairent sur les origines de la formation, leur routine créative et leurs influences, entre autres.
Obsküre : Pouvez-vous chacun présenter votre formation et carrière en tant que musiciens ?
ANGST : Je n’ai pas de formation musicale. J’ai tâté un peu du death metal lorsque j’étais ado, puis de la musique électronique avec des potes mais je n’ai jamais possédé d’instrument. Cela se faisait principalement selon leurs conditions, comment la musique devait sonner. Je voyais les choses plutôt en termes d’atmosphères et de paysages sonores, au lieu de l’écriture traditionnelle, comme la scène black metal du début des années quatre-vingt-dix ou les pionniers de la musique électro expérimentale allemande… Donc j’ai commencé à utiliser un MicroMoog d’occasion en 2014 et à produire une kosmische musik répétitive, sombre et mélancolique.
Offermose : Je bosse sur le projet Offermose depuis à peu près six ans. Durant cette période j’ai eu la chance de rencontrer un grand nombre de personnes talentueuses qui partagent ma sensibilité en termes d’ambiance et d’atmosphère. Avec ces contacts, j’ai pu parfois donner des concerts, collaborer sur des morceaux ou former des groupes, comme Kulma et bien sûr Den Sorte Død. Mais ce dernier existait même avant Offermose d’une certaine manière, juste on ne le savait pas encore. Den Sorte Død est le résultat évident de la relation que j’ai avec ANGST.
Comment vous êtes-vous rencontrés ? D’où vient l’idée de fusionner Offermose et ANGST pour créer Den Sorte Død ?
Den Sorte Død : Nous nous connaissons depuis de nombreuses années et partageons les mêmes centres d’intérêt musicaux. On s’est toujours recommandé mutuellement des artistes de black metal underground ou de musique électronique du début des années soixante-dix et on assiste ensemble à d’obscurs concerts.
Pourquoi avoir choisi ce nom de groupe (NDLA : La Mort Noire en français), qui désigne la peste au Moyen Âge ? La Scandinavie a été particulièrement touchée par ce fléau. Que souhaitez-vous exprimer à travers lui ?
Les souvenirs qui restent de cette nuit au pub sont pour le moment brumeux, néanmoins un chouette concept a émergé : "Intet kan stoppe Den Sorte Død!" ("Rien ne peut arrêter La Mort Noire !"), une bonne inspiration pour nous mettre en selle, toujours d’actualité. Ce nom est, parmi tant d’autres choses, un hommage à toutes les puissantes forces de la nature et à l’éternité du cosmos.
Comment vous répartissez-vous le travail de composition ? Quel est le point de départ d’un morceau et comment le développez-vous ?
Nous avons comme rituel annuel de nous rendre dans une cabane isolée avec tout notre vieil équipement. Lorsqu’on arrive, on installe tout pour être prêts à enregistrer, puis on va se promener. Quand on revient plus tard dans la journée, on commence à expérimenter. Puis nous passons quelques jours comme ça à jouer et enregistrer de façon intensive. Tout le matériel des morceaux provient de ces sessions. De retour chez nous, nous passons les mois suivants à mixer les pistes et à proposer des manières intéressantes de mélanger les différentes couches enregistrées.
Il est assez difficile de déterminer qui fait quoi, nous ajoutons tous les deux couches sur couches d’instruments, de séquences, de design sonore, de chaînes d’effets, etc. Après quelques heures de travail sur un morceau, il y a des câbles partout. C’est à la fois chaotique et intuitif. Lorsque nous atteignons nos limites pour chaque titre, habituellement nous sommes allés tous les deux aussi loin qu’on le pouvait. On est plutôt doués pour dire ce qui nous plaît et ce que nous devons supprimer. Il n’y a jamais de discussion.
Quelles sont vos principales sources d’inspiration pour composer, qu’elles soient musicales ou autres ?
Elles sont évidemment innombrables. Pour n’en citer que quelques-unes : Theodor Kittelsen, Carl Theodor Dreyer, Ingmar Bergman, Tarkovski, Jodorowsky, Anna Själv Tredje, Bo Hansson, Klaus Schulze.
On reconnaît aisément le son d’Offermose et Angst Sessions chez Den Sorte Død, mais je trouve que vous avez réussi à réaliser une synthèse parfaite des deux projets dans votre duo. Quelle serait l’identité de Den Sorte Død selon vous ?
Offermose et ANGST sont Den Sorte Død, pas d’egos quand on est ensemble. Donc à aucun moment on ne se demande si ce son est dans le style d’ANGST ou d’Offermose. C’est comme un courant sans fin d’idées entremêlées.
Comment s’est passé l’enregistrement de Den Sorte Død ? Quels outils/instruments avez-vous utilisés ? Quel a été le moteur de cet album ?
Notre motivation et inspiration principale ne change pas beaucoup d’album en album. Nous commençons toujours avec les mêmes thèmes et idées. Mais au fur et à mesure de la progression de l’enregistrement, nous découvrons de nouvelles émotions et des aspects inédits de Den Sorte Død, que nous essayons ensuite d’approfondir. Voici quelques-uns des instruments utilisés : MiniMoog, Korg Trident, Mellotron, ARP Omni, l’écho à bande Korg SE-300, des phasers, de la réverbération, des séquenceurs, etc.
Je trouve que vous avez passé un cran supplémentaire avec Den Sorte Død, en termes d’atmosphères et de puissance évocatrice, en dépouillant encore plus votre son. Est-ce un sentiment que vous partagez ?
Den Sorte Død est la continuation d’Undergangen : ce qui arrive quand le monde meurt et que la nature retrouve son trône légitime. Le cadre n’a pas d’âge, l’auditeur est libre de projeter ses propres fantasmes et émotions dans l’univers. Nous avons notre propre savoir, mais ce n’est pas une clé pour apprécier la musique. Nous mettons en place l’atmosphère pour que chacun habite la part obscure qui est en soi.
Vous aviez sorti les deux premiers albums chez Pomperipossa Records, le label d’Anna von Hausswolff, comment êtes-vous entrés en contact avec Cyclic Law ? Qu’est-ce qui vous a attiré vers ce nouveau label ? Comment s’est passé le deal ?
Après la parution d’Untergangen nous avons été contactés par Cyclic Law. Frederic (NDLA : Arbour, fondateur du label) a été très direct et on s’est dit que c’était une super opportunité pour atteindre un nouveau public.
Vous êtes très attachés aux paysages sauvages et profonds de la Scandinavie, à la forêt. Votre musique est incroyablement envoûtante, elle a une véritable dimension mystique. Vous semblez attirés par cet aspect spirituel de l’existence, on le remarque à votre imagerie. À quel point cela est -il important pour vous ?
Merci à toi. Cela résume plutôt joliment ce que nous sommes. Et c’est génial que toi et d’autres parviennent à avoir les mêmes idées et images à l’écoute. L’intemporalité et la magie de la nature… des profondeurs insondables de la forêt, jusqu’aux confins de l’univers.
On associe généralement vos projets musicaux au dungeon synth, genre plus en plus prospère depuis quelques années. Néanmoins, votre son lorgne plutôt aussi du côté de la kosmische musik des années soixante-dix. Quel regard portez-vous sur le dungeon synth et sa communauté ? Quels artistes de cet univers vous inspirent et vous sentez-vous attachés à cette scène ?
Pour nous, le dungeon synth est un mélange entre le black metal et le dark ambient, à l’image des albums de Lamentation, Neptune Towers et Mortiis sortis au milieu des années quatre-vingt-dix. Quelques groupes actuels ont ce même feeling : Old Sorcery, Dark Tower, Thangorodrim. La plupart des formations pionnières du genre étaient très liés à la Berlin School et à la kosmische musik des débuts, cela nous semble naturel d’associer ces styles. Le label dungeon synth pour Den Sorte Død n’est pas le meilleur, mais il n’est pas complètement faux non plus. Nos influences couvrent plusieurs genres, dont certains cités plus haut.