Au même titre que son compatriote Peter Andersson de Raison d’Être, Johan Levin fut des années durant fidèle à l’écurie Cold Meat Industry, jusqu’à sa dissolution vers la fin des années 2000. Les deux hommes ont ensuite tour à tour été ramassés dans l’épuisette de l’incontournable label berlinois Cyclic Law, dont ils sont désormais des figures de proue, restant, l’un comme l’autre, très actifs.
Desiderii Marginis s’est signalé au fil des albums avec la volonté de varier les palettes d’ambiance, au prix de micro-innovations qui ont pu marquer, comme l’adjonction très bien pensée d’une guitare sèche sur la plupart des morceaux de That Which Is Tragic And Timeless (2005). Deux ans ont passé depuis le beau clair-obscur Vita Arkivet (2018), deux ans de réflexion sur la notion de finitude, d’où émerge aujourd’hui Departed, huitième album studio.
Se fier à l’image est toujours recommandé lorsqu’il s’agit d’ambient. Ici, l’artwork met en valeur les paysages côtiers de la Suède, ceux là même que Bergman a célébrés dans Le Septième Sceau, formations déchiquetées que le monochrome rend charbonneuses et lointaines. C’est dans ce décor irréel que se déploie une musique construite par vagues, comme le travail patient de la marée sur la roche. Album d’extérieur, tourné vers des panoramas à 360 degrés, Departed se complait dans une abstraction débarrassée de toute claustrophobie. Les nappes des synthétiseurs forment des appels nébuleux, graves mais apaisants, flirtant parfois avec les rêves analogiques de Vangelis (la seconde moitié, bouleversante, de "The Silence of a Thousand Years"). D’autres passages confient aux chœurs le soin de détailler une scène puissante ("Eternity shuddered at the Image of Death"). L’intensité dramatique est modulée avec goût. La musique ne s’assoupit jamais.
Sorte de repli conscient sur les fondamentaux du dark ambient, qu’il sublime par une ouverture inédite vers le cinéma, on devine Departed renseigné par la profession d’archéologue de Johan Levin. C’est l’album le plus tellurique depuis la référence Deadbeat (2001), presque vingt ans en arrière. En atteste la présence, dans les bonus, du morceau éponyme de ce deuxième album, retravaillé et redaté ("Deadbeat MMXIX").
Rien ne nous est totalement inconnu des sons et des formules qui habitent ce disque, c’est vrai. Malgré ça, on touche à un niveau de savoir-faire et d’empreinte climatique tel qu’on a bien l’impression d’un renouvellement par l’envergure. Avec ce qui est sans conteste l’une de ses meilleures livraisons, Desiderii Marginis s’impose toujours plus naturellement et continue de tracer le sillage pour ceux qui viennent.